Éditorial de La Tribune des Travailleurs n° 451 du 7 août 2024
Par Daniel Gluckstein
Nombre de nos jeunes lecteurs ignorent sans doute qui fut Maurice Chevalier et, a fortiori, sa chanson à succès de 1939 : « Et tout cela, ça fait d’excellents Français, d’excellents soldats qui marchent au pas. » Il y glorifiait l’union, « face à l’ennemi », de ces « Français » divers par leurs origines sociales et leurs opinions.
2024 marquera-t-il l’improbable retour de Maurice Chevalier ? À en croire Macron et certains médias aux ordres, les « excellents Français » seraient tous « contents », unis dans une même « ferveur ». Ferveur en particulier pour « nos » exploits, « nos » athlètes, « nos » performances qui suscitent des commentaires dégoulinants de chauvinisme.
Le sport est une chose. La lutte des classes en est une autre. Mais le sport peut devenir un enjeu de la lutte des classes.
Qui a vraiment lieu d’être « content » ?
Les patrons des multinationales, c’est certain. Selon le Financial Times, Coca-Cola, LVMH, Samsung et quelques autres ont investi des milliards d’euros dans le sponsoring des Jeux. Grâce à cette « commercialisation sans précédent », elles ont la garantie d’empocher bien plus en retour.
Macron aussi est content. Pendant que le peuple suit les Jeux, lui est occupé ailleurs : avec son ministre Le Maire pour mijoter un budget d’austérité comme jamais le pays n’en a connu ; avec sa ministre Belloubet pour préparer une rentrée scolaire de toutes les contre-réformes ; avec ses collègues de l’Union européenne pour financer à coups de milliards la guerre en Europe (grâce aux votes des « gauches » au Parlement européen) ; avec, aussi, ses collègues Biden et autres pour couvrir les crimes insensés de Netanyahou en Palestine.
Macron est content aussi parce que, tandis que les yeux sont rivés ailleurs, il prépare une combinaison gouvernementale qu’il compte bien imposer, contre le mandat du vote du 7 juillet, en s’appuyant sur les pouvoirs exorbitants que lui confère la Ve République.
À « gauche », Anne Hidalgo ne cache pas sa joie : les Jeux de Paris montrent qu’« on peut être ensemble et être heureux ensemble ». On ne sait pas ce qu’en pense sa directrice des finances Lucie Castets, accaparée par sa tournée de possible future Première ministre du Nouveau Front populaire.
Jusqu’à quel point les médias qui chantent les louanges de l’union nationale retrouvée grâce aux Jeux y croient-ils eux-mêmes ? « La France heureuse des JO : une simple parenthèse ? », s’interroge Le Monde.
2024 n’est pas 1939. Cela fait des années que les travailleurs ne marchent pas au pas, multipliant grèves, manifestations et grands mouvements de lutte de classe. Ils ont exprimé leur rejet massif de Macron et de sa politique dans les récentes élections.
Les lampions de la fête vont s’éteindre. Pas plus demain qu’hier, les travailleurs ne marcheront au pas ; que ce pas soit dicté par Macron ou par un autre gouvernement – fût-il de « gauche » – qui voudrait coopter leurs syndicats et imposer des mesures qu’ils rejettent.
Les travailleurs ont plus que jamais besoin de préserver l’indépendance de leurs organisations. Une fois les lampions éteints, la lutte de classe sera toujours là. Et bien là