Et nos affaires courantes, qui s’en soucie ?

Par Daniel Gluckstein

Voici donc le pays géré par un « gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes ». Attal et son patron Macron peuvent donc poursuivre comme avant, comme si Macron n’avait pas été battu et rejeté en trois élections successives sur un mois.

Leurs « affaires courantes », c’est la politique qui, comme on le lira dans ce journal, prépare une rentrée scolaire catastrophique dans le Val-de-Marne : 131 classes supprimées ! Et plus de 300 en Seine-Saint-Denis voisine. Et combien de milliers dans toute la France ?

Nos « affaires courantes », celles des travailleurs et de leurs familles – l’école pour les enfants, l’accès aux soins, le logement, l’emploi, les salaires… –, qui s’en soucie ?

Dans les entreprises, dans les quartiers, les travailleurs s’interrogent : « Qu’est-ce qu’ils font, là-haut, pourquoi cette division ? » De plus en plus nombreux sont ceux qui concluent : « Ils ne veulent pas y aller ! »

Il est vrai que sous la Vᵉ République un gouvernement peut « expédier les affaires courantes » aussi longtemps que le président le décide.

Cela ne semble pas trop déranger Mélenchon qui, dans son blog du 22 juillet, se félicite de la « cohabitation politique d’un genre nouveau » qui découle de ce que « le Nouveau Front populaire a conquis la majorité au bureau de l’Assemblée ». Désormais, s’enflamme-t-il, « le pouvoir à l’Assemblée passe dans les mains du Nouveau Front populaire ». Si les mots ont un sens, si le pouvoir à l’Assemblée est passé dans les mains du NFP, Mélenchon ne devrait-il pas proposer que cette Assemblée nationale décrète la déchéance de la Vᵉ République ? « Dans les mains du NFP », l’Assemblée nationale ne devrait-elle pas convoquer sans délai une Assemblée constituante souveraine engageant la marche vers la 6ᵉ République inscrite dans le programme du NFP ?

Telle n’est pas la préoccupation de Mélenchon. Ce dernier prend soin en revanche de se féliciter de la répartition des postes à l’Assemblée nationale : « Les insoumis y trouvent bien leur compte avec deux vice-présidences, deux secrétaires et la présidence de la commission des finances… » Il est content, Mélenchon… Avec quelques postes haut placés, « les insoumis y trouvent leur compte ». Tant mieux pour eux…

Les travailleurs et leurs familles, les jeunes, eux, ne trouvent pas leur compte dans les conditions sociales qui ne cessent de se dégrader, dans les suppressions d’emplois qui se multiplient, dans le désert hospitalier qui s’étend, dans le désastre de la rentrée scolaire ou dans celui du logement, pas plus qu’ils ne trouvent leur compte dans des salaires toujours plus rognés par l’inflation.

Plus la « gauche » se dérobe au mandat qui lui a été confié le 7 juillet, plus elle conduit les travailleurs à cette conclusion : « Quel que soit le nom du futur locataire de Matignon, nous ne réglerons nos “affaires courantes” que par notre propre mobilisation. Rien ne nous sera donné. C’est par notre propre action que nous arracherons les revendications. » C’est pour aider à ce combat que se construit le Parti des travailleurs, parti de lutte de classe.

Ils ont reçu un mandat, ils lui tournent le dos

Par Daniel Gluckstein

À l’heure où ces lignes sont écrites, nul ne sait quelle sera la composition du prochain gouvernement ni quand elle sera annoncée. Toutes les hypothèses sont sur la table, d’un gouvernement de coalition entre la droite et les macronistes à un large « arc républicain » du Parti socialiste et des Verts jusqu’à la droite et les macronistes. Autre hypothèse : Macron ferait durer le plus longtemps possible un gouvernement « technique » chargé d’« expédier les affaires courantes » en attendant… une probable dissolution en juillet 2025.

Une hypothèse semble s’éloigner chaque jour un peu plus : la constitution d’un gouvernement des partis du Nouveau Front populaire (NFP) pourtant arrivé en tête le 7 juillet.

Comment le comprendre ?

On ne s’étonne pas d’entendre le Medef et autres porte-parole du capital financier crier à la catastrophe annoncée à propos du programme du NFP. Pour eux, la moindre amélioration de la situation des salariés, aussi limitée soit-elle, aussi respectueuse soit-elle de la Vᵉ République et du régime capitaliste… est de trop !

Mais comment comprendre la lutte féroce que se livrent les différentes composantes du Nouveau Front populaire, une lutte dont le vainqueur est connu d’avance : Macron, donc la classe capitaliste dont il représente les intérêts ?

Force est de constater que tous contribuent à cette situation. Toute proposition d’un nom pour le poste de Premier ministre provoque un regain de tension et de division. C’est une véritable escalade. « Impossible » est le terme qui semble dominer les « échanges » entre les partis membres du NFP.

Les travailleurs et les jeunes qui ont massivement voté pour les candidats du NFP assistent à ce spectacle avec consternation. Ils s’interrogent : « Ces dirigeants de gauche veulent-ils vraiment gouverner pour mettre en œuvre leur programme ? »

Au soir du second tour, Jean-Luc Mélenchon a déclaré qu’il faudrait appliquer « le programme du NFP, tout le programme, rien que le programme ». Mais cinq jours plus tard, le 12 juillet, concluant l’assemblée de ses partisans dans ses locaux du 87, rue du Faubourg-Saint-Denis, il en appelle « à la conquête du pouvoir, nous en connaissons la date et les moyens, c’est 2027 et c’est l’élection présidentielle ». Si c’est 2027, ce n’est pas 2024… Qu’importe le vote du 7 juillet, qu’importent trois ans de plus avec Macron et sa politique ?

Quant au Parti socialiste et aux autres composantes du Nouveau Front populaire, ils savent qu’en proposant comme Premier ministre une « personnalité de la société civile », qui quelques jours auparavant appelait à s’allier avec les macronistes, ils attisent le feu de la division.

Tous tournent le dos au mandat qu’ils ont reçu par le vote populaire de millions de femmes, d’hommes, de jeunes le 7 juillet. Tous se dérobent.

Et pendant ce temps… Macron gouverne. La rentrée scolaire dans quelques semaines ? C’est celle préparée par Belloubet pour laquelle manquent des dizaines de milliers d’enseignants et de personnels chargés d’accompagner les enfants en situation de handicap. La guerre en Ukraine ? Macron vient d’y affecter 2,3 milliards d’euros supplémentaires. Le décret contre les chômeurs ? Il sera publié incessamment. La loi Darmanin contre les immigrés ? Des décrets d’application sont publiés ce jour, 16 juillet ! Ajoutons à cette liste la Cour des comptes qui prescrit 50 milliards de coupes supplémentaires dans le budget 2025 et Le Maire qui coupe 5 milliards supplémentaires dans le budget en cours d’exécution… Et l’annonce d’une nouvelle réforme des retraites, celle de l’an dernier n’aurait pas suffi.

Rien n’est joué. À ceux qu’ils ont placés en tête des votes le 7 juillet, les travailleurs sont en droit de dire : « Arrêtez de vous diviser ! Formez un gouvernement de vos partis pour appliquer le programme que vous avez soumis au vote populaire ! Sans quoi, si vous persistez à tourner le dos au mandat, si vous piétinez la démocratie dont vous vous réclamez, sachez que les travailleurs iront chercher par leur propre lutte de classe la satisfaction des revendications. Ils le feront sans vous, en préservant l’indépendance de leurs syndicats qui n’ont pas à être entraînés dans vos divisions. »

Quel que soit le dénouement immédiat, la Vᵉ République est frappée à mort.

Quel que soit le dénouement immédiat, il faudra bien que s’impose un gouvernement de rupture ouvrière qui abroge la fonction monarchique du président de la République doté de tous les pouvoirs et balaie la Vᵉ République elle-même.

Quel que soit le dénouement immédiat, la classe ouvrière a besoin de rester unie, forte, avec ses organisations pour faire prévaloir ses intérêts et ses aspirations. Et pour imposer enfin un gouvernement à elle, sans Macron ni patrons.

Le 16 juillet, 18 heures

Des deux côtés de la barrière de classe

Par Daniel Gluckstein

Les élections du 7 juillet sont-elles une victoire de l’« arc démocratique » comme s’accordent à le dire la plupart des commentateurs ? En apparence, oui : grâce aux retraits réciproques, il a permis l’élection de nombre d’anciens ministres de Macron et de candidats du Nouveau Front populaire.

En réalité, le 7 juillet, s’est exprimé, sur le terrain déformé de la lutte des classes que sont les élections, le mouvement en profondeur de la classe ouvrière.

Les millions d’électeurs du Nouveau Front populaire ont dit : cette fois, nos exigences doivent être entendues, celles qui ont été maintes fois trahies par les différents gouvernements de gauche dans les quarante dernières années, celles pour lesquelles nous avons fait grève et manifesté par millions. S’est exprimé dans ce vote le caractère insupportable des conditions matérielles d’existence de l’immense majorité.

Cela vaut non seulement pour l’électorat du Nouveau Front populaire, mais aussi pour une fraction des électeurs du Rassemblement national, poussés en ce sens, non parce qu’ils seraient racistes ou fascistes, mais par désillusion, parce qu’ils sont désabusés, déçus par les gouvernements et les partis de gauche par lesquels ils estiment avoir été trahis. Bien sûr, le vote RN est une très mauvaise réponse à leurs désillusions. Mais leur aspiration à une véritable amélioration de leurs conditions matérielles d’existence converge, d’une certaine manière, avec l’aspiration des électeurs du Nouveau Front populaire.

Dans sa signification d’ensemble, on ne peut comprendre le vote du 7 juillet que si on part des conditions matérielles d’existence : plus de la moitié des familles renonce à tout départ en vacances ; la majorité des familles ouvrières et populaires n’arrive plus à boucler les fins de mois ; des millions vivent dans des immeubles devenus insalubres, faute d’entretien, avec des ascenseurs qui ne sont jamais réparés et des charges toujours plus lourdes. On ne peut comprendre ce vote si on écarte les factures d’électricité et de gaz qu’on ne peut plus payer et les salaires qui ne suivent pas l’inflation, l’école qui n’instruit plus, l’hôpital qui ne soigne plus, les bureaux de poste fermés et les quartiers laissés à l’abandon.

Ces conditions matérielles d’existence, imposées à des millions de familles ouvrières, sont le résultat des politiques favorables à la classe capitaliste, poursuivies par les gouvernements de toutes couleurs politiques, obéissant aux exigences de l’Union européenne, du Fonds monétaire international depuis des décennies.

Elles résultent aussi du consensus général pour accorder toujours plus de milliards aux dépenses militaires, en particulier au financement de la guerre en Ukraine.

C’est donc bien un vote de classe, traduisant une puissante exigence de classe, qui s’est exprimé ce 7 juillet. Le Medef a compris la menace. Dans son communiqué du 8 juillet, il met en garde contre une « conjoncture économique précaire ». Pour lui, « le gouvernement qui sera issu du second tour des élections législatives ne pourrait ignorer cette situation préoccupante ». Par conséquent, le Medef exige : « La politique économique menée depuis neuf ans a produit des résultats en termes de croissance et donc doit se poursuivre. »

Pour le Medef, pas question de prendre en compte le vote du 7 juillet. Pire, il le prend en compte en exigeant que le futur gouvernement lui tourne le dos.

Le 7 juillet, la majorité a dit : il faut en finir avec la politique de destruction des droits des travailleurs. Le 8 juillet, le Medef martèle : il faut poursuivre cette politique. Et, pour y parvenir, il s’adresse très logiquement au président de la République, « garant de la cohésion nationale ».

La position du Medef est-elle respectueuse de la démocratie ? Non, bien sûr ! Si la démocratie consiste à respecter les aspirations, les revendications et les besoins du peuple travailleur, les besoins de l’immense majorité qui n’a que son travail pour vivre, alors la position du Medef est contraire à la démocratie. Lorsque le Medef s’adresse à Macron pour lui dire : « Ne tenez pas compte du vote, faites ce que les intérêts de la classe capitaliste exigent », il viole les exigences de la démocratie… mais il respecte les institutions de la Ve République. Car les institutions de la Ve République sont précisément faites pour qu’en toutes circonstances les intérêts de la classe capitaliste soient préservés et défendus, même au mépris du vote majoritaire. Bayrou ne dit rien d’autre lorsque, dès le 7 juillet, il rappelle l’origine et la signification de la Ve République (lire page 5).

Vingt-quatre heures après le vote, on assiste déjà au ballet incessant de tous ceux qui se portent candidats à des solutions « négociées », à des gouvernements de coalition permanente ou de coalitions temporaires avec tel ou tel morceau du centre, voire de la droite. S’expriment en ce sens aussi bien des dirigeants macronistes comme Braun-Pivet que des dirigeants du Nouveau Front populaire, comme Raphaël Glucksmann, Clémentine Autain et autres. Ceux qui, aujourd’hui, cherchent un accord avec Macron seront peu ou prou condamnés à faire ce que dit le Medef, c’est-à-dire à tourner le dos aux exigences contenues dans le vote du 7 juillet.

Mélenchon a tenu un autre discours le soir du 7 juillet. Il a dit : il faudra appliquer tout le programme, rien que le programme, mais tout le programme. Le Parti des travailleurs, on le sait, ne soutient pas le programme du Nouveau Front populaire, programme limité et réformiste qui, de fait, reste dans le cadre des institutions de la Ve République et du système capitaliste. Il n’en reste pas moins que ce programme comporte toute une série d’exigences qui correspondent aux aspirations des travailleurs et de la jeunesse, qu’il s’agisse de l’abrogation de la réforme des retraites ou encore des engagements de recrutement d’enseignants et de soignants ou d’augmentation des salaires.

Du point de vue de la démocratie dont il se réclame, Mélenchon a raison d’affirmer qu’il faut appliquer le programme du Nouveau Front populaire. C’est le mandat confié au Nouveau Front populaire arrivé en tête des élections. La contradiction est dans le fait que Mélenchon, pour mettre en place un gouvernement qui applique le programme du Nouveau Front populaire, s’adresse à Macron et lui demande de respecter le vote de la démocratie. Or chacun sait qu’il n’est pas dans les intentions de Macron – pas plus que dans les buts de la Ve République – d’appliquer un tel programme. La réponse que Macron apportera à la demande de Mélenchon est connue d’avance. Il fera tout pour empêcher la mise en place d’un gouvernement qui mettrait en œuvre le programme du Nouveau Front populaire. Il est à l’Élysée pour défendre les intérêts de la classe capitaliste et non pour défendre la démocratie.

Dès lors, si Macron rejette l’appel de Mélenchon, s’il le fait avec l’aide de ceux qui, venus du Nouveau Front populaire, n’auront de cesse de monter des combinaisons et des alliances pour échapper au mandat confié le 7 juillet, alors l’alternative posée se résumera à ceci : ou bien respecter les institutions de la Ve République, ou bien respecter la démocratie.

Ou bien respecter les institutions de la Ve République et s’incliner, à regret certes, mais s’incliner quand même, devant le constat qu’une partie des dirigeants du Nouveau Front populaire a constitué avec les macronistes une alliance pour appliquer une politique contraire au vote du 7 juillet.

Ou bien respecter la démocratie. Et pour l’imposer, en appeler à la mobilisation générale des travailleurs et des jeunes afin qu’ils organisent leur propre action de classe pour faire respecter le mandat. Quitte, pour cela, à outrepasser les institutions antidémocratiques de la Ve République.

Cette alternative se posera à Mélenchon. Mais elle concerne et interpellera les travailleurs et les militants qui se sont mobilisés pour la victoire du Nouveau Front populaire.

Répétons-le, au Parti des travailleurs, nous ne sommes pas partisans du programme du Nouveau Front populaire. Il n’en reste pas moins que, du point de vue de la démocratie, les millions de travailleurs et de jeunes qui ont voté pour le Nouveau Front populaire pour le changement tout de suite, ceux-là sont en droit de s’adresser à ceux qu’ils ont élus et leur dire : « Nous vous avons élus pour mettre en œuvre vos engagements. Nous vous avons élus pour que les choses changent radicalement. Vous avez un programme, appliquez votre programme ! Et même si Macron ne le veut pas, appliquez ce programme, rompez avec Macron et la Ve République, pas dans trois ans, pas dans six ans, maintenant ! Si c’est là la condition pour donner du travail à ceux qui n’en ont pas, pour qu’il y ait des enseignants dans les écoles et des soignants dans les hôpitaux, si c’est là la condition pour qu’on parte à la retraite à 62 ou 60 ans, et non pas à 64 ans, alors rompez avec Macron, n’hésitez pas à transgresser les règles antidémocratiques de ce régime. »

Sinon… sinon, s’il s’agit de se replier sur soi et d’attendre la présidentielle de 2027, gare !

Gare, car d’autres sont en embuscade. Les déclarations du RN ne peuvent tromper personne. Ils ont dit : « Nous avons perdu cette fois, nous gagnerons la prochaine fois. » C’est un risque, si ceux qui, appuyés sur la volonté majoritaire de changement des travailleurs et des jeunes, se sont fait élire le 7 juillet renoncent à la rupture.

Pour sa part, le Parti des travailleurs, en toute indépendance, sans appartenir au Nouveau Front populaire, fera tout pour aider à la mobilisation des travailleurs et des jeunes, maintenant, tout de suite, pour toutes les revendications.

Oui, de ce combat, le Parti des travailleurs est partie prenante. Il n’hésitera pas à affirmer que, pour mettre en œuvre les décisions conformes au point de vue majoritaire, il faut rompre, maintenant et tout de suite avec la Ve République. Cette question surgit de fait dans les discussions au sein des organisations ouvrières et démocratiques et dans les assemblées de travailleurs et de jeunes.

Maintenant, tout de suite, balayer la Ve République ! Maintenant, tout de suite, un gouvernement de rupture ouvrière pour appliquer ce qui était contenu dans le vote du 7 juillet !

Ont-ils tout oublié ?

Par Daniel Gluckstein

Les événements se succèdent à un rythme effréné. D’abord, la victoire du Rassemblement national au premier tour des élections législatives. Aussitôt, l’appel par Macron à constituer un front républicain. Réponse positive immédiate de Mélenchon donnant la consigne de retrait des candidats du Nouveau Front populaire (NFP) en cas de triangulaire. Dans les heures qui suivent, plus de cent désistements de candidats du NFP, principalement LFI. Par exemple, pour permettre la réélection du ministre Darmanin, père de la loi raciste anti-immigrés. Ou encore celle de l’ancienne Première ministre Élisabeth Borne, mère de la réforme anti-ouvrière contre les retraites des travailleurs.

Qu’est-ce que cela signifie ?

Fidèles à notre méthode, nous partirons des positions des classes sociales en présence. Au lendemain du premier tour, la classe capitaliste se montre rassurée et rassurante. Les marchés financiers restent calmes. L’indice du CAC 40 progresse même. Les Échos soulignent « le soulagement sur les marchés après le premier tour ». Ce que les capitalistes veulent éviter, ce serait une « majorité absolue du Rassemblement national potentiellement très dépensier ». Même si « des craintes subsistent », l’inquiétude du capital financier restera « contenue grâce au cadre européen qui joue désormais un rôle majeur dans les politiques économiques ». Et Les Échos de donner en exemple le gouvernement d’extrême droite de Meloni en Italie.

Les capitalistes savent que le RN est un parti capitaliste qui a bien l’intention de défendre les intérêts de sa classe sociale. Une source d’inquiétude toutefois, c’est que le RN doit son résultat à une base électorale élargie qui pourrait avoir des exigences. Par conséquent, il faut poser des garde-fous. Donc faire en sorte que, si majorité du RN il y a, elle soit relative et non absolue pour contraindre ce parti à chercher des accords et des compromis.

S’inscrivant dans la même perspective, le NFP déploie depuis dimanche soir une très grande énergie pour aboutir au plus grand nombre possible de désistements pour les candidats macronistes ou de droite, quitte à effacer toute trace de « gauche » dans son discours. Comme le dit l’un de ses dirigeants : le Front populaire doit laisser la place au « front républicain ». Glucksmann le dit à sa façon : « Les appareils, les identités politiques, la gauche et la droite… tout cela s’efface devant cette situation vertigineuse. »

Une nouvelle fois donc, la « gauche » vient au secours de la Ve République et des intérêts capitalistes.

Ont-ils tout oublié ?

D’où vient-elle, au fait, cette percée électorale de l’extrême droite ?

Remontons le fil de l’histoire. En 1981, Mitterrand est élu premier président de « gauche » de la Ve République. L’extrême droite est alors à son niveau le plus bas. Elle ne présente même pas de candidat à l’élection présidentielle. Dans les années qui suivent, Mitterrand fera tout pour la remettre en selle par un calcul politique visant à affaiblir la droite. Sept ans plus tard, Jean-Marie Le Pen se présentera et obtiendra 14 % des voix.

Retour à 1981. Mitterrand est élu sur un programme et un engagement de rupture. Le thème de sa campagne : rompre avec le capitalisme. Cette campagne et son élection apparaissent comme une réponse à la remontée des luttes de classe, des mobilisations ouvrières à la fin des années 1970. Mais dès 1982-1983, c’est le tournant de la rigueur : austérité, blocage des salaires, remise en cause des conventions collectives, lois Auroux visant à l’intégration des syndicats à l’État.

Au total, durant son double septennat, Mitterrand déroulera toute une série de contre-réformes réactionnaires : la première budgétisation des hôpitaux visant à en contenir les dépenses dans les limites de l’austérité européenne, la mise en place de la CSG préparant la liquidation de la Sécurité sociale… Mitterrand sera l’un des principaux artisans du traité de Maastricht en 1992, qui posa une chape de plomb sur l’ensemble des économies européennes. Avec le traité de Maastricht, disait ce haut responsable bancaire allemand, « la seule variable d’ajustement sera la force de travail ». Ce fut la force de travail en effet !

La classe ouvrière a payé au prix fort tout au long du double septennat de Mitterrand ces attaques forcenées contre ses droits. En outre, subissant la liquidation de pans entiers de secteurs industriels dans le textile, dans la sidérurgie, les mines, dans l’automobile, elle se heurtait au refus de ce gouvernement de « gauche » (ministres PS, PCF…) d’interdire les licenciements et de garantir l’emploi par la nationalisation sans indemnité ni rachat.

Cette politique des gouvernements Mitterrand a permis le retour de la droite au pouvoir. À peine nommé, Juppé lance son attaque violente contre les retraites. Par millions, les travailleurs se mobilisent contre son plan. Au point que le président de la République Chirac dissout l’Assemblée nationale en 1997, provoquant des élections anticipées dont la « gauche plurielle » sort victorieuse. Pendant cinq ans, le gouvernement Jospin (PS), Buffet (PCF), Voynet (Verts), Mélenchon (PS pendant trois ans) poursuit la politique de soumission à l’Union européenne et aux plans capitalistes, notamment par la transposition des directives européennes en matière de privatisation de l’énergie. La « gauche plurielle », qui s’était engagée à améliorer la situation des travailleurs, se fit le relais des exigences des capitalistes. Elle renoncera même à ne pas publier les décrets de la réforme Juppé, réforme qu’elle fut la première à mettre en application.

Plus tard, on connaîtra un phénomène comparable avec le gouvernement Hollande. Au total, durant ces vingt-quatre années qui virent la gauche participer au gouvernement, elle tourna le dos à toutes ses promesses de rupture, apparaissant aux yeux des travailleurs comme responsable de la dégradation de leur situation et de la progression généralisée de la misère.

Faut-il s’étonner dans ces conditions de l’élargissement de la base sociale du RN ? Ses résultats jusqu’aux élections de 2012 tournaient autour de 15 %. Aujourd’hui, c’est un fait : il y a des travailleurs mis au chômage qui ne retrouvent pas d’emploi, des salariés ulcérés de voir toutes les promesses de la gauche trahies, des familles populaires qui ne s’en sortent plus financièrement, des couches précarisées, paupérisées dans des régions devenues des déserts industriels et médicaux où les logements sociaux sont à l’abandon, où les services publics sont fermés les uns après les autres… Oui, une partie de ces couches qui, hier, formaient la base électorale du Parti communiste, du Parti socialiste, dans le nord, dans l’est, et plus généralement dans les quartiers ouvriers et populaires, se sont d’abord largement tournées vers l’abstention et plus récemment, pour partie, vers le vote Rassemblement national. Cela ne fait pas de ces électeurs des fascistes ou des racistes invétérés, cela en fait, pour un certain nombre, des travailleurs, des chômeurs, des jeunes désespérés, exaspérés, parfois aigris, ayant perdu toute confiance dans ceux qui leur promettaient de changer la vie et qui, en réalité, n’ont fait que l’aggraver. Elle est là, la réalité. On ne peut pas comprendre autrement la progression électorale du RN.

Ce qui ne rend pas le RN moins dangereux dès lors que sa rhétorique consiste à encourager le racisme et la xénophobie, détournant la rage de ces travailleurs des véritables responsables de la situation, les capitalistes, pour la retourner contre l’immigré, l’étranger, désignés comme autant de boucs émissaires.

Dans ce contexte, les dirigeants de la « gauche » semblent avoir perdu toute mémoire. À plusieurs reprises depuis 2002, ils pratiquèrent le « front républicain », appelant en 2002 à voter pour Chirac face à Le Pen, puis répétant l’opération en 2017 et en 2022. À l’époque d’ailleurs, Mélenchon avait manifesté plus que des réticences à ce sujet.

En 2022, l’appel de la « gauche » à voter Macron pour faire barrage au RN a contribué à sa réélection. Résultat : deux ans plus tard, le RN est à son plus haut.

Il n’y a qu’un moyen de couper la route au RN, c’est d’appeler les travailleurs et les jeunes à se rassembler pour imposer une véritable politique de rupture, rupture avec le capitalisme, rupture avec la Ve République. Ce à quoi le RN n’est évidemment pas disposé. Mais le NFP, lui, est-il disposé à une telle rupture ? Il est permis d’en douter au vu, non seulement de son programme, mais de sa tactique fusionnelle avec les Macron, Darmanin et autre Borne entre les deux tours.

La rupture, ça veut dire donner du travail à ceux qui n’en ont pas ; garantir un salaire permettant de vivre à ceux qui ne parviennent pas à finir le mois ; rétablir une politique du logement décent, disponible pour tous, entretenu, réparé, rénové ; la rupture, c’est garantir l’école et l’hôpital pour tous. La politique de rupture, c’est par conséquent prendre l’argent là où il est : dans les poches des actionnaires qui se gavent toujours plus année après année, dans les coffres-forts des capitalistes dont les profits ne cessent de grandir, dans les crédits pour la guerre qu’il faut confisquer pour les réorienter vers une politique de vie et non de mort.

Les dirigeants des partis qui historiquement sont issus du mouvement ouvrier devraient en toute logique lever le drapeau de l’émancipation ouvrière et non celui du ralliement aux représentants de la classe capitaliste. Car la rupture, c’est d’abord rompre avec Macron et non pas soutenir sa réélection.

Face au RN et à Macron, face à la réaction, face à la décomposition sociale, face à la guerre, la perspective ne peut être que celle du gouvernement ouvrier, d’un gouvernement de rupture ouvrière qui, sur tous les terrains, défende les intérêts des exploités et des opprimés et se donne les moyens de répondre à leurs aspirations.

Tel est l’enjeu de la situation. Il faudra bien que la classe ouvrière, sur son propre terrain, impose ses solutions, qu’elle les impose, y compris, malgré et contre la politique des dirigeants qui semblent avoir perdu la tête en se portant au secours des Macron, Borne et Darmanin. Car leur tentative de sauver la Ve République et le régime d’exploitation capitaliste dont elle est l’instrument est une cause perdue.

Mardi 2 juillet, 18 heures

Ingouvernabilité, guerre civile, coup d’État, révolution… Où va la France ?

Par Daniel Gluckstein

Emmanuel Macron, (Roumanie, 2022)                                                                                               Charles de Gaulle (Élysée, 1961)

La crise de la Ve République s’aggrave de jour en jour. Nul ne peut en comprendre les ressorts s’il ne part pas des forces sociales en présence et de leur confrontation.

La clef de voûte de la Ve République, c’est le président de la République. Le rejet de Macron, tel qu’il s’est exprimé le 9 juin, fut si massif qu’il a impacté le régime lui-même. Or la Ve République, c’est l’enveloppe institutionnelle de l’État. Qu’est-ce que l’État ? L’instrument de l’oppression d’une classe sociale par une autre classe sociale, indispensable au bon fonctionnement du système capitaliste. Sans disposer de l’État, une poignée de multimilliardaires qui contrôlent les moyens de production ne pourraient exploiter la force de travail de l’immense majorité. À travers les institutions, c’est aujourd’hui l’État qui est en cause et, à travers lui, le régime de la propriété privée des moyens de production.

Les institutions de la Ve République n’ont pas la souplesse d’un régime parlementaire dans lequel les alliances et les combinaisons peuvent varier autant que nécessaire pour préserver le régime lui-même. Sous la Ve République, le mode d’élection basé sur le scrutin de circonscription uninominal à deux tours rend difficile la constitution d’alliances après élection. Le principe en est plutôt que des coalitions constituées avant le vote cherchent à gagner une majorité de sièges pour former le gouvernement. Aujourd’hui, à quelques jours du premier tour, l’hypothèse d’un seul bloc disposant d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale n’est pas la plus probable. À quoi s’ajoutent les problèmes soulevés par une éventuelle cohabitation. Au point que le pronostic d’« ingouvernabilité » après le 7 juillet revient de plus en plus fréquemment dans les médias.

Nos adversaires, qui savent que ce n’est pas la première fois que nous évoquons l’agonie de la Ve République, ironiseront peut-être : « Ah, bon, à l’agonie depuis si longtemps ? » Oui. Cette agonie se prolonge du fait de l’incapacité des deux classes sociales en présence à conclure de manière définitive. La classe capitaliste, parce qu’en dépit des coups qu’elle a portés ne parvient pas à démanteler jusqu’au bout les droits et garanties arrachés par le combat ouvrier depuis près d’un siècle (notamment dans les grands mouvements de classe en 1936, 1945, 1953, 1955, 1968…). La classe ouvrière, parce qu’en dépit de mobilisations par millions a été et est confrontée à des directions qui, quand vient l’heure d’organiser la confrontation, par exemple par l’appel à la grève générale, choisissent de se dérober. On l’a vu récemment dans la mobilisation contre la réforme des retraites.

En se prolongeant, l’agonie du régime pousse à une décomposition générale, institutionnelle, politique, sociale. Ce régime est à ce point discrédité qu’il ne peut, en se maintenant sous sa forme actuelle, qu’aggraver le rejet et ouvrir la voie à un effondrement total. Mais c’est un fait qu’à ce stade aucune force sociale n’est en mesure d’imposer une solution alternative, que seule pourrait dégager soit une force résolument orientée vers le coup d’État militaire, le totalitarisme et/ou l’extension de la guerre (ce dont Macron a ouvertement menacé le pays en évoquant le 24 juin le spectre de la « guerre civile ») ; soit la classe ouvrière s’orientant vers l’issue révolutionnaire pour prendre le pouvoir entre ses mains.

Que peut-il alors advenir ?

Pour répondre à cette question, il faut, répétons-le, partir de la situation des deux classes sociales fondamentales en présence : la bourgeoisie et la classe ouvrière.

Comme toutes les bourgeoisies, la bourgeoisie française déteste et craint par-dessus tout la déstabilisation. Elle a besoin de stabilité pour faire tourner ses affaires. La zone de turbulence dans laquelle le pays est entré est source d’inquiétude. La pression exercée par les agences de notation – c’est-à-dire le capital financier des États-Unis – et par l’Union européenne et le FMI, tout cela va dans le même sens : la bourgeoisie est sommée de faire des progrès de productivité. Elle doit par conséquent être capable d’aller plus loin dans la remise en cause des droits ouvriers, responsables, à ses yeux, d’un « coût du travail » exorbitant.

Quel que soit le résultat sorti des urnes le 7 juillet, la classe capitaliste a besoin de garanties solides concernant la préservation de ses intérêts par un futur gouvernement. Dans la situation actuelle, ces garanties se concentrent sur deux questions clefs.

Manifestation contre la réforme des retraites, Paris, le 19 janvier 2023 / AFP

La première concerne la préservation des institutions. Les « trois grands blocs » s’y engagent : celui constitué par les macronistes, la droite et le centre bien sûr ; mais aussi le Rassemblement national (RN) ; c’est le cas également du Nouveau Front populaire (NFP), qui renvoie à un futur indéterminé l’objectif pour le moins vague d’« abolir la monarchie présidentielle dans la pratique des institutions » et de passer « à une 6e République par la convocation d’une assemblée constituante ». De manière immédiate, en cas de victoire électorale, tous s’engagent à cohabiter avec Macron. En application de la Constitution de la Ve République, une fois l’élection passée, Macron nommera donc le Premier ministre (article 8), présidera le Conseil des ministres (article 9), promulguera (ou non) les lois votées par le Parlement (article 10), signera (ou non) les ordonnances et les décrets (article 13). Comme « chef des Armées » (article 15), c’est lui qui aura le pouvoir d’engager (ou non) la France dans des conflits. Il conservera la prérogative de négocier et ratifier les traités internationaux (article 52). Et surtout, il disposera avec l’article 16 de la possibilité d’instaurer l’état d’urgence qui suspend les libertés et concentre tous les pouvoirs entre ses mains. Question : rompre avec la politique des gouvernements précédents, est-ce possible en gardant Macron avec tous les pouvoirs de censure et de verrouillage que lui confère la Constitution ?

La seconde, c’est le consensus sur la politique de guerre. La guerre impérialiste en cours forme un tout. En Europe, elle exige l’armement et le surarmement de l’Ukraine, alimentant le bain de sang qui fauche des milliers de vies des deux côtés du front. Au Moyen-Orient, elle a pour fondement la négation des droits nationaux du peuple palestinien (ce qui, depuis la partition de 1947 jusqu’au génocide d’aujourd’hui, constitue une marque essentielle de l’ordre impérialiste). La poursuite de la guerre, c’est la garantie de juteux profits. Des centaines de milliards de dollars ont été investis depuis plus de deux ans dans la guerre en Ukraine par le bloc (de plus en plus intégré) formé par l’Union européenne, l’OTAN et les États-Unis ; à quoi s’ajoutent les investissements nécessaires aux préparatifs guerriers contre la Chine et l’armement du gouvernement génocidaire d’Israël. Pour toutes ces raisons, pour l’impérialisme mondial – dominé par l’impérialisme américain –, il est hors de question que la France se dégage du rôle de supplétif qui lui est assigné, sous la direction de Washington, dans le cadre de l’OTAN. S’agissant de la guerre, Bardella s’engage à tenir les engagements de la France, en Ukraine et au Moyen-Orient. Le programme du NFP prend lui aussi l’engagement de poursuivre la « livraison d’armes nécessaires à l’Ukraine » et d’inscrire sa politique moyen-orientale dans le cadre des résolutions de l’ONU…

Question : quel crédit apporter à l’engagement de « rupture » revendiqué par le programme du NFP dès lors que ce programme s’engage à consacrer à la guerre les centaines de milliards qui font et feront défaut aux écoles, aux hôpitaux, aux services publics de plus en plus démunis ?

Toutes les coalitions en présence s’engagent donc au respect des institutions et de l’engagement dans la guerre. Il n’en découle pas pour autant que les cercles dirigeants du capital financier sont indifférents à la composition du futur gouvernement. Face au risque d’« ingouvernabilité », leur préférence – ou plutôt leur moindre répugnance – pourrait se tourner vers un gouvernement d’« arc républicain », une majorité parlementaire allant des Républicains à la social-démocratie, comme le recommande Édouard Philippe. Encore faudrait-il que les forces soient suffisantes à l’Assemblée nationale pour former une telle majorité. Encore faudrait-il qu’elles le veuillent. Et à condition – exigeront les dirigeants capitalistes – que ce gouvernement ne renonce pas à imposer les contre-réformes contre la classe ouvrière. Or un tel gouvernement serait marqué dès sa constitution par son extrême fragilité. Il pourrait rapidement être tétanisé face à la résistance ouvrière. Au mieux donc, ce serait pour la bourgeoisie la « moins pire » des solutions. Mais pour combien de temps ?

À défaut, une partie des cercles dirigeants du capital financier laisse entendre qu’ils pourraient s’accommoder, au moins provisoirement, d’un gouvernement de cohabitation Macron-Bardella. Mais à condition de lui imposer leur agenda. Le RN est réticent, bien qu’il donne de plus en plus de gages, y compris sur le respect de l’Union européenne. Il craint l’effet d’« usure » d’un gouvernement de cohabitation qui ferait ombrage à la possible élection de Marine Le Pen en 2027. Les cercles dirigeants du capital financier, eux – à ce stade –, voudraient éviter une confrontation brutale avec la classe ouvrière. Mais s’il n’est pas d’autre moyen, certains secteurs sont aujourd’hui prêts à en courir le risque avec un gouvernement du RN, ce qui n’était pas le cas auparavant.

Qu’en est-il du NFP ? Bien qu’il porte en gros caractères le mot « rupture », son programme, on l’a vu, reste dans le cadre des institutions. Les dirigeants du NFP qui se portent candidats au poste de Premier ministre revendiquent de siéger dans un Conseil des ministres présidé par Macron. Les cercles dirigeants du capital financier sont pourtant réticents à une telle combinaison et ne s’y résoudront que si vraiment il n’y a pas d’autre possibilité. Leurs craintes ne portent pas sur les intentions des dirigeants du NFP, dont les partis et les dirigeants ont fait la preuve dans le passé de leur capacité à gouverner sans rompre ni avec la Ve République ni avec le capitalisme. Ce que craint la bourgeoisie, c’est la base sociale du NFP, ces millions de travailleurs et de jeunes qui, en votant pour lui, le chargent de leurs revendications et de leurs aspirations.

Que veulent les travailleurs et les jeunes ? Ils ont des revendications vitales sur le pouvoir d’achat, le logement, l’école, les hôpitaux, les conditions de travail, la Sécurité sociale. Ils veulent un pouvoir qui les satisfasse. La plupart font majoritairement confiance aux partis du NFP. Mais ces revendications, ces aspirations appellent, pour devenir réalité, une rupture dans les faits et pas seulement sur le papier. Cette exigence de rupture avec le capital financier, les institutions de l’Union européenne et la Ve République, portée par la mobilisation sociale de millions, les capitalistes la craignent. À raison !

Les dirigeants du NFP eux-mêmes oscillent entre deux attitudes : revendiquer de gouverner le pays en multipliant les preuves de leur « sérieux », comme l’ont fait Coquerel et Vallaud présentant leur programme au Medef afin de convaincre les patrons, faisant appel à leur « patriotisme économique » et leur « bonne volonté » ; ou s’engager tout de suite dans une compétition pour savoir qui sera Premier ministre et ainsi déchaîner la division entre dirigeants qui, pourtant, revendiquent le même programme. Faudrait-il finalement, par la division, permettre à Macron de garder les rênes du pouvoir ? Faudrait-il tout renvoyer à 2027 ? Serait-ce là notamment le calcul de Mélenchon dont l’objectif essentiel est son élection à la présidentielle dans trois ans ?

Manifestation contre la réforme des retraites, Paris, le 23 mars 2023 / LTDT

Ingouvernabilité… Le Monde évoque un coup d’État institutionnel via une manœuvre pour un troisième mandat. Europe 1 souligne le possible recours à l’article 16. Et Macron agite la menace de la « guerre civile » qui pourrait justifier ce recours à l’article 16…

Les travailleurs et les jeunes qui votent pour le NFP ne sont ni aveugles ni amnésiques. Ils savent qu’il y a eu dans le passé des gouvernements, sous Mitterrand, sous Hollande, sous Jospin, qui rassemblèrent tous les partis que l’on retrouve aujourd’hui dans le NFP (ou leurs dirigeants) et refusèrent alors de s’engager sur la voie de la rupture. Souvent, lorsqu’ils sont interrogés à ce sujet, travailleurs et jeunes répondent : « Nous n’avons pas oublié, mais on ne peut pas tout régler en même temps, c’est pourquoi nous voulons d’abord bloquer l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite et ensuite nous nous attèlerons à imposer un gouvernement qui mène une politique de rupture. »

C’est dans ce contexte que le Parti des travailleurs a été amené à avancer le mot d’ordre « Dégager Bardella, chasser Macron, rupture ouvrière ». Des millions de travailleurs et de jeunes voteront pour le NFP parce qu’ils estiment que c’est la voie la plus économique pour imposer une politique de rupture, rupture avec la guerre, avec la misère, avec toutes les contre-réformes.

Sans illusion dans le programme du NFP, le Parti des travailleurs est partie prenante de ce mouvement de millions. En toute indépendance, déployant notre propre politique et nos propres mots d’ordre, nous conforterons le mouvement par lequel les travailleurs diront à ces dirigeants : « Prenez le pouvoir entre vos mains, dégagez Macron, dégagez les institutions de la Ve République ! Formez un gouvernement Mélenchon-Roussel-Faure sans Macron ni patrons, sans les institutions de la Ve République ! Formez un tel gouvernement, mettez sans délai en œuvre les premières mesures d’urgence, sans craindre de rompre avec la Ve République et le capitalisme ! ».

Pour le Parti des travailleurs, cela exige notamment la confiscation des centaines de milliards de la loi de programmation militaire, des profits des capitalistes et des dividendes versés aux actionnaires, et leur affectation aux besoins du peuple travailleur.

Finalement, tout se concentre dans la capacité des travailleurs à s’organiser par eux-mêmes pour faire prévaloir leurs besoins. L’issue ne pourra surgir que dans la confrontation directe entre les classes. Le Parti des travailleurs, bien qu’il ne le revendique pas explicitement dans son programme, ne peut se construire que comme un parti révolutionnaire qui assume non seulement la perspective de la rupture, mais aussi le combat pour lui ouvrir la voie, c’est-à-dire aider à organiser la lutte de classe par le combat pour l’unité.

La solution viendra de la rupture. Cette rupture peut être ouvrière et révolutionnaire et emprunter la voie démocratique du combat pour l’Assemblée constituante et le gouvernement ouvrier. Elle peut à l’inverse être une « rupture » de type totalitaire, prenant y compris la forme d’un coup d’État ou d’une dérive vers une nouvelle forme de fascisme.

Tel est l’enjeu de la nouvelle étape de confrontation qui mûrit entre les classes sociales.

N. B. : Cet éditorial a été rédigé les 24 et 25 juin. Au rythme extrêmement rapide des événements, il sera probablement dépassé dans tel ou tel aspect factuel avant même l’impression du journal. Il reviendra aux travailleurs, aux jeunes, aux militants ouvriers qui nous lisent de juger si, au-delà de tel ou tel détail, la ligne générale de notre analyse et les conclusions que nous en tirons sont utiles ou non au combat d’émancipation.

Ne peut vaincre l’extrême droite celui qui craint de rompre avec le capitalisme

Editorial de La Tribune des Travailleurs n° 445 du 19 juin 2024

Par Daniel Gluckstein

Les dirigeants de la « gauche » qui appellent à combattre l’extrême droite devraient, s’ils veulent réellement en écarter la menace, tirer les leçons du passé.

Durant les quarante-trois dernières années, la Ve République a été présidée pendant dix-neuf ans par un président « socialiste » et dirigée cinq ans de plus par un gouvernement de « gauche » cohabitant avec un président de droite.

Vingt-quatre années durant lesquelles des ministres communistes, socialistes, Verts ou futurs insoumis ont obstinément refusé de s’engager sur la voie d’une véritable rupture avec la Ve République et le capitalisme. De sorte que, progressivement, les travailleurs et les jeunes qui massivement s’étaient rangés derrière ces partis en 1981 s’en sont détournés.

Si, parvenant à battre électoralement l’extrême droite les 30 juin et 7 juillet, une majorité de députés appartenant au Nouveau Front populaire se constituait, elle serait confrontée à cette alternative : ou bien s’engager sur la voie d’une véritable rupture ; ou bien lui tourner le dos, emprunter à nouveau la voie de l’accompagnement des politiques destructrices dictées par le grand capital. À moyen terme, ce serait garantir à l’extrême droite la victoire différée cette fois-ci.

On lira dans ce journal les conséquences dramatiques de la nouvelle convention médicale signée entre l’assurance maladie et les syndicats de médecins libéraux. Elle implique l’obligation pour les médecins de diminuer le nombre de molécules administrées aux patients polymédiqués. Cette décision répond-elle à des critères sanitaires ? Absolument pas ! Elle découle de l’obligation de réduire les déficits publics, inscrite dans les traités européens depuis le traité de Maastricht. La Banque centrale européenne y veille. Macron, président, est le garant du respect de ces traités européens mortifères, en application de la Constitution de la Ve République.

Un gouvernement de progrès social devrait, dès sa mise en place, abroger cette scandaleuse convention médicale. Cela implique, on le comprend, de rompre avec le cadre institutionnel.

Deux logiques s’affrontent, antagoniques : réduire les déficits publics ou réduire la durée de vie des patients.

L’argent est là, on le sait bien. Les plus de 100 milliards d’euros de dividendes versés aux actionnaires tous les ans, les centaines de milliards de la loi de programmation militaire… L’argent est là. Mais il faut, pour le confisquer, ne pas craindre de briser le carcan des institutions de la Ve République et des traités européens. Ne pas craindre de briser ce carcan tout de suite pour rendre possible une politique qui met en son centre la vie et non les injonctions de la Banque centrale européenne.

C’est cela le sens de la rupture ouvrière.

Se soumettre au pouvoir des banquiers et des militaires ou répondre aux besoins du peuple ? Au-delà du 30 juin, cette alternative sera tranchée par la mobilisation des travailleurs et des jeunes.

Voilà pourquoi il est indispensable de grouper les forces sur un programme de rupture ouvrière. Voilà ce pour quoi agit le Parti des travailleurs, ce pour quoi il combat et se construit.

La rupture : quel contenu, qui l’imposera ?

Par Daniel Gluckstein

La crise du régime s’approfondit d’heure en heure. Nul ne sait sur quoi elle débouchera dans les prochains jours. La spectaculaire progression, en pourcentage, de l’extrême droite aux élections européennes suscite l’inquiétude légitime des travailleurs et des jeunes. Inquiétude renforcée par l’annonce d’une possible alliance entre l’extrême droite et un secteur des Républicains. L’ombre d’un gouvernement de cohabitation Macron-Bardella-Ciotti plane, menaçante, sur le pays. 

Force est de constater que cette progression de l’extrême droite (progression relative, car le total de ses voix est en recul par rapport à 2022) est à mettre en relation avec ce qui est l’événement majeur du 9 juin : l’effondrement de la liste macroniste. Celle-ci perd en effet les deux tiers des voix recueillies par Macron au premier tour de l’élection présidentielle, soit 6,1 millions de voix en moins par rapport aux 9,7 millions d’il y a deux ans. 

Cet effondrement de Macron, c’est le rejet massif de sa politique, un rejet qu’il a acté en dissolvant l’Assemblée nationale. Ce rejet a provoqué un vide que, dans un premier temps, le Rassemblement national tente de remplir, mettant à profit la politique de division qui lui a laissé la possibilité de le faire. Les partis de gauche, à leur tour, cherchent à y répondre par la conclusion à la hâte d’un accord mettant sur pied ce qu’ils appellent un « nouveau front populaire » pour les élections législatives. 

Ce vide, les travailleurs et les jeunes ont cherché et cherchent à l’occuper sur leur propre terrain. Des milliers de manifestants se sont rassemblés dimanche et lundi soir, certes contre le Rassemblement national, mais aussi contre Macron et sa politique. Dès lundi, dans de nombreux secteurs professionnels, les travailleurs ont considéré que le moment était venu de formuler les revendications et d’aller les chercher. Des appels à la grève ont été lancés. Et on a vu, dans nombre de réunions syndicales, les travailleurs et les délégués opposer la nécessité de la grève sur les revendications aux responsables qui voulaient canaliser l’action vers le soutien à des appareils politiques. 

À ce début d’irruption des travailleurs et des jeunes sur le terrain de la lutte de classe directe, les dirigeants ont donc répondu en constituant ce « nouveau front populaire ». Dans le même temps étaient convoquées des manifestations communes à certaines organisations syndicales et aux appareils politiques. 

Dès lors, une question est posée : s’il s’agit de donner corps au rejet, il est indispensable d’ouvrir la perspective d’une véritable rupture. Et puisqu’il s’agit de gouvernement, d’ouvrir la perspective d’un véritable gouvernement de rupture ouvrière. 

Certes, l’appel à constituer ce « nouveau front populaire » évoque la nécessité d’une rupture. Mais sans lui donner la moindre signification concrète. On notera que, dans les manifestations de lundi soir, l’appel du Parti des travailleurs « Pas un sou, pas une arme, pas un homme pour la guerre ! » a été extrêmement bien accueilli par les manifestants. 

Alors, s’il s’agit d’ouvrir la perspective d’une rupture réelle autrement que par les mots, le contenu, a minima, ne peut être que celui-ci : d’abord, la rupture avec la logique de guerre. Macron, deux jours avant les élections, a réaffirmé son intention d’envoyer des troupes en Ukraine. La rupture, c’est : « Pas un sou, pas une arme, pas un homme pour la guerre en Ukraine ! », c’est l’arrêt des fournitures d’armes et de toutes les relations avec Israël, coupable de génocide. 

La rupture, c’est, a minima, la rupture avec la logique de l’Union européenne, celle des traités de Maastricht et autres qui imposent l’austérité et le paiement des intérêts de la dette. La rupture, c’est l’abrogation des contre-réformes qui saignent toujours plus l’ouvrier : celles de l’assurance chômage, des retraites, de la Sécurité sociale, et l’annulation des augmentations des tarifs de l’énergie. 

La rupture, c’est la rupture avec la Ve République, ce régime du pouvoir personnel qui donne tous les pouvoirs au président, y compris celui de décider, seul, la dissolution. C’est la nécessité, pour en finir avec ce régime et établir une authentique démocratie, de convoquer une Assemblée constituante souveraine. 

Car rompre avec la politique de Macron ne pourra pas passer par une cohabitation avec lui. Car un gouvernement de cohabitation, dans le respect des institutions de la Ve République, n’agit qu’avec la permission du président. 

Une telle perspective de rupture ne s’imposera pas par le seul moyen d’une coalition électorale bâtie à la hâte entre des partis qui, jusque dans les heures qui ont précédé l’accord, se déchiraient à pleines dents et affirmaient l’impossibilité d’y parvenir.

C’est le mouvement des masses, tel qu’il a commencé à s’engager – plus que les combinaisons d’appareils et les combinaisons gouvernementales – qui dénouera la situation. C’est l’action de classe qui, en allant chercher les revendications par la grève, imposera de satisfaire aussi les aspirations politiques qui se sont exprimées en creux sur le plan électoral. 

Qu’il s’agisse d’empêcher l’avènement d’un gouvernement d’extrême droite ou d’imposer le gouvernement de la rupture ouvrière, la classe ouvrière et la jeunesse unies ont entre les mains les clés de la situation. Une nouvelle étape s’est ouverte. Elle est lourde de grands dangers. Elle est aussi porteuse d’immenses possibilités. Plus que jamais, l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.