Un scandale peut en cacher un autre

Ils ont raison tous ceux – journalistes et représentants de la gauche, de la plus modérée à la plus extrême – qui dénoncent le scandale des émoluments proposés au P-DG de Stellantis, Carlos Tavares : plus de 36 millions d’euros, en augmentation de 56 % par rapport à l’année précédente ! Trente-six millions d’euros : 2 000 fois le salaire d’un ouvrier de Stellantis !

Scandaleux, en effet ! Mais faut-il s’arrêter là ?

Les premiers à dénoncer les sommes exorbitantes promises à Tavares ont été… certains des actionnaires de Stellantis. Mais au fait : où seraient allées les sommes soustraites à Tavares si telle avait été la décision ? Aux actionnaires sans doute.

Il faut dire que cette entreprise a réalisé sur l’année écoulée plus de 18 milliards d’euros de bénéfices sur lesquels près de 8 milliards seront distribués aux actionnaires, sous forme de dividendes et de rachats d’action. Traduisons : quand Tavares va gagner l’équivalent du salaire de 2 000 ouvriers, les actionnaires vont empocher l’équivalent du salaire de plus de 400 000 ouvriers !

C’est d’ailleurs vrai pour l’ensemble de l’industrie automobile. L’agence de presse spécialisée dpa-AFX, qui fait autorité en la matière, indique que pour l’année écoulée les seize groupes automobiles les plus importants ont réalisé un chiffre d’affaires total de plus de 2 000 milliards d’euros et un bénéfice avant intérêts et impôts de 176 milliards ! Cela représente le salaire durant la même période de plus de 9 millions d’ouvriers de l’automobile. Et on peut évaluer la part de ces bénéfices reversés aux actionnaires à l’équivalent du salaire de 4 millions d’ouvriers.

C’est pourquoi, à ceux qui s’émeuvent – plus ou moins sincèrement selon les cas – des revenus accordés à Tavares, les travailleurs sont en droit de dire : regardez au-delà de Tavares, le scandale, c’est le système capitaliste lui-même qui transforme en profits et dividendes la sueur, la santé et le sang arrachés à l’ouvrier parfois dans les pires conditions d’exploitation !

Cela a un rapport avec la question de la guerre. La même dépêche de l’agence dpa-AFX indique que l’un des problèmes auxquels sont confrontés les constructeurs automobiles américains, européens et japonais, c’est que les ventes en Chine sont au point mort, qu’il faudrait les dynamiser, surtout qu’au même moment les constructeurs chinois de voitures électriques envahissent « nos » marchés nationaux. En un mot : l’heure est venue pour ces dirigeants capitalistes que la Chine soit mise au pas. Cela n’a-t-il pas un rapport avec la menace d’extension de la guerre impérialiste, en direction de la Chine particulièrement ?

Alors que la situation des travailleurs et des jeunes ne cesse de se dégrader, tandis que la marche à la guerre étend son ombre inquiétante sur tous les continents, les mots d’ordre simples de « confiscation des dividendes et des profits ! », de « socialisation des moyens de production ! » et de « gouvernement des travailleurs » pour les mettre en œuvre sont plus que jamais à l’ordre du jour.

À bas la guerre ! À bas l’exploitation ! À bas le capitalisme !

Quand tous les pauvres s’y mettront

Par Daniel Gluckstein

On connaissait le nettoyage ethnique, de sinistre réputation. Voici venu le temps du nettoyage social. À l’approche des Jeux Olympiques, les sommets de l’État sont pris de frénésie. C’est par cars entiers que l’on déporte les personnes sans abri et les demandeurs d’asile loin de la capitale. Pour ces derniers, c’est souvent une étape avant l’expulsion pure et simple à l’extérieur des frontières en application des tristement célèbres « obligations de quitter le territoire français » (OQTF). Vite, vite, il faut chasser ces pauvres qui défigurent notre belle capitale que des millions de « touristes olympiques » s’apprêtent à investir. 

Comment ne pas penser au Tartuffe de Molière : couvrez cette misère que le monde entier ne saurait voir. 

À vrai dire, c’est dans tous les domaines que règne la tartufferie, autrement dit l’hypocrisie généralisée. Ainsi, Macron vient de lancer un appel en commun avec le président égyptien Sissi et le roi de Jordanie pour un cessez-le-feu immédiat à Gaza. Mais le même Macron continue à faire livrer des armes à Israël, au moment même où se prépare – au vu et au su de tous car Netanyahou et sa bande ne s’en cachent pas – ce qui pourrait être la phase finale du massacre à Gaza. Macron en appelle au cessez-le-feu… et livre les armes qui intensifient le feu ! Tartuffe encore : cachez ma participation de fait au génocide, le peuple ne doit rien en savoir…

Sur cette question cruciale de la paix ou de la guerre, la « gauche » en France se divise en deux camps : les Glucksmann et autres « socialistes » et Verts qui votent les crédits de guerre et en rajoutent toujours plus dans le registre des va-t-en-guerre ; et ceux qui parlent de paix, mais votent aussi les crédits de guerre pour l’Ukraine. Telle Manon Aubry (LFI) qui se vante sur France Inter (17 mars) d’avoir « voté 32 résolutions de soutien à l’Ukraine au Parlement européen », la plupart de ces résolutions comprenant un soutien financier et militaire au gouvernement Zelensky. Tartuffe toujours : couvrez ces votes qui attisent le feu de la guerre en Ukraine au lieu de l’éteindre, couvrez ces votes de guerre dont le « peuple de gauche » doit tout ignorer. 

De gauche ou de droite, les Tartuffe des temps modernes ne méritent pas d’être jugés sur ce qu’ils disent d’eux-mêmes ni même sur ce qu’ils disent en général, mais sur leurs actes, exclusivement. 

Mais le règne des hypocrites ne durera pas éternellement. À quelques jours de la commémoration par le Parti des travailleurs de la Commune de Paris, premier gouvernement ouvrier de l’histoire, on se souviendra de la Semaine sanglante et des paroles composées par le communard Jean-Baptiste Clément dans les jours qui ont suivi ce terrible massacre : « Jusques à quand les gens de guerre tiendront-ils le haut du pavé ? »

Et aussi… « Ça branle dans le manche, les mauvais jours finiront et gare à la revanche quand tous les pauvres s’y mettront. »

A propos de Giono

Les éditions Folio ont créé une collection : « Folio 2 € / 3 € ». Je suis tombé l’autre jour sur un présentoir plein de petits livres – petits par leur volume. Est-ce pour faire comme dans les assiettes ? Si la viande est trop chère, on en met moins. Est-ce pour se calquer sur les écrits courts des réseaux sociaux où les caractères sont comptés ?Est-ce que l’univers de l’impression est mesuré comme l’univers intergalactique par une constante, en l’occurrence la vitesse de la lumière ? Plus de livres imprimés multiplié par moins de pages dans les livres égale constante ?

Je prends de Jean Giono : « Refus d’obéissance », 119 pages. Un article contre la guerre publié en 1934 et quatre chapitres inédits du roman « Le Grand Troupeau ». Giono dit : « bien des amis m’ont demandé de publier ces textes réunis. Je n’en voyais pas l’utilité. Maintenant j’en vois une : je veux donner à ces pages la valeur d’un refus d’obéissance ». (Éditions Gallimard 1937). Malheureusement l’utilité de cette publication est bien visible aussi en 2024.

            Je me retiens de citer in extenso ce premier texte titré « Je ne peux pas oublier » (13 pages) et je vous suggère de foncer chez votre libraire commander ce N°6563 de folio 3 euros. Si le libraire ne l’a pas en rayon, commandez-en deux. Vous laisserez le deuxième au libraire en lui demandant de le remplacer quand il sera vendu.

Quelle jubilation de lire ces lignes clairvoyantes, pleines de bon sens.

            Giono écrit : « J’ai fait toutes ces attaques sans fusil ou bien un fusil inutilisable. (…) Je n’ai pas honte mais à bien considérer ce que je faisais, c’était une lâcheté. J’avais l’air d’accepter. Je n’avais pas le courage de dire : « Je ne pars pas à l’attaque ». (…) Je n’ai qu’une seule excuse : c’est que j’étais jeune. Je ne suis pas un lâche. J’ai été trompé par ma jeunesse et j’ai également été trompé par ceux qui savaient que j’étais jeune. (…) C’étaient des hommes eux, vieillis, connaissant la vie et les roublardises, et sachant parfaitement bien ce qu’il faut dire aux jeunes hommes de 20 ans pour leur faire accepter la saignée. Il y avait là des professeurs, tous les professeurs que j’avais eus depuis la 6e, des magistrats de la République, des ministres, le président qui signe les affiches, enfin tous ceux qui ont un intérêt quelconque à se servir du sang des enfants de 20 ans »

Là on s’arrête et on se rappelle avoir lu dans La Tribune des travailleurs que le rectorat de Paris avait enjoint les professeurs d’assurer la formation de leurs élèves aux valeurs républicaines et à la Défense nationale. On a lu dans La Tribune des travailleurs que l’autorité militaire d’un des départements de Bretagne a envoyé un texte aux Maires dans le but de justifier un soutien à la guerre en Ukraine. On suit les efforts de Macron pour imposer le SNU et la résistance qu’ils rencontrent. Suggestion : que les professeurs étudient ce texte avec leurs élèves.

            Plus loin Giono écrit : « A la guerre j’ai peur, j’ai toujours peur, je tremble, je fais dans ma culotte. Parce que c’est bête, parce que c’est inutile. Inutile pour moi. Inutile pour le camarade qui est avec moi sur la ligne des tirailleurs. Inutile pour le camarade en face. Inutile pour le camarade qui est à côté du camarade en face de la ligne de tirailleurs qui avance vers moi… »

Un peu plus loin : « Celui qui est contre la guerre est par ce seul fait dans l’illégalité. L’état capitaliste considère la vie humaine comme la matière véritablement première de la production du capital. Il conserve cette matière tant qu’il est utile pour lui de la conserver. Il l’entretient car elle est une matière et elle a besoin d’entretien (…). Il a des maternités où l’on accouche les femmes (…). Il a des écoles où les inspecteurs primaires viennent caresser les joues des enfants. Il a des stades (…). Il a des casernes. »

            Un peu après : « L’état capitaliste (…) pour produire le capital a, à certains moments, besoin de la guerre, comme un menuisier a besoin d’un rabot. Il se sert de la guerre ».

Curieuse coïncidence, le ministre des Finances vient de voler 10 milliards dans le budget voté de l’état, pour, dit-il, diminuer le déficit, en fait glisser à l’économie de guerre. Ces milliards qui vont manquer aux travailleurs, aux hôpitaux, aux écoles, etc, ont été comparés à un coup de rabot par les journalistes. Guerre à l’intérieur et à l’extérieur. Les victimes sont les mêmes. Les outils comparables.

Le livre est petit en volume mais quel ouvrage formidable. Question densité ça évoque les étoiles à neutrons.

Juste une remarque : la désobéissance individuelle fait des déserteurs, des objecteurs de consciences qui seront soit emprisonnés, soit fugitifs, soit fusillés pour l’exemple. La désobéissance individuelle n’a jamais arrêté une guerre. Une classe sociale organisée de la base au sommet, unie et résolue peut le faire. Elle doit se doter, pour cela, d’un parti des travailleurs.

YC

Ils parlent de paix et agissent pour la guerre

Par Daniel Gluckstein

« Le prochain bulletin de vote, vous choisirez entre la paix et la guerre », a déclaré Jean-Luc Mélenchon à son arrivée à la Réunion le 30 mars. À propos des élections européennes, il a précisé : « En dehors de la liste insoumise, je ne sais pas qui se réclame de la paix. »

En cette période d’escalade guerrière dans le monde entier, alors que Macron multiplie les déclarations provocatrices pour un engagement militaire en Ukraine, la question de la paix ou de la guerre est un motif d’inquiétude grandissante pour les travailleurs et les jeunes.

On aimerait pouvoir faire confiance à Mélenchon. Certes, un bulletin de vote ne suffira pas à ramener la paix. Mais s’il peut y contribuer, pourquoi pas ?

Ce bulletin dont parle Mélenchon mentionnera en premier le nom de Manon Aubry, puisque cette députée européenne sortante conduira la liste.

Or que dit Manon Aubry sur la paix et sur la guerre ?

Le 29 mars, sur France Inter : « Vous savez, moi, je n’ai aucune honte parce que j’ai soutenu tous les textes en soutien à l’Ukraine, soutien financier, soutien logistique, soutien militaire au Parlement européen. »

Le 26 mars, dans l’émission « Quotidien » sur TMC : « Je vais vous dire la chose suivante très clairement : on a voté 50 milliards d’euros il y a de cela un mois et demi au Parlement européen et j’ai voté pour. »

Le 1er mars déjà, sur France Info, à propos « des gestes de solidarité » avec l’Ukraine : « Cette semaine par exemple, on a voté 50 milliards d’euros d’aide à l’Ukraine, que j’ai votés bien volontiers. »

Manon Aubry ne se contente pas de parler, elle agit. À sept reprises au moins, elle a voté pour que l’Union européenne fournisse à Zelensky les milliards nécessaires à la poursuite de la guerre et des souffrances qui accablent les peuples ukrainien et russe*.

C’est cela, la « paix » ?

Mélenchon, qui figure sur la liste d’Aubry, n’a jamais désavoué ses votes. Réélue, elle continuera donc à voter avec les partis de droite, sociaux-démocrates et Verts, pour la poursuite d’une guerre qui a déjà fait plus de 500 000 morts et blessés. Et pendant ce temps, Mélenchon, lui, discourra sur la paix.

Avant de s’envoler pour la Réunion, Mélenchon a participé à une conférence à Créteil au cours de laquelle la députée LFI Clémence Guetté a présenté La France insoumise comme un mouvement « révolutionnaire » et osé invoquer Léon Trotsky.

Rappelons à Guetté que Trotsky a toujours condamné les députés de « gauche » qui votaient les crédits pour les guerres impérialistes. Trotsky, pour qui la « morale révolutionnaire » exige « la conformité de la parole et de l’action devant la classe ouvrière ».

En 2024, mettre l’action en conformité avec la parole de paix, c’est rejeter tout consensus avec les fauteurs de guerre et l’OTAN, refuser de voter les crédits de guerre et forger l’unité dans la mobilisation pour imposer à Macron : « Pas un sou, pas une arme, pas un homme pour la guerre ! »

#** Votes et résolutions (en 2022 : 1er mars, 7 avril, 6 octobre, 2 février, 16 février ; en 2023 : 15 juin ; en 2024 : 27 février) consultables sur le site du Parlement européen.

Leur déficit, leur guerre, leur faillite

Par Daniel Gluckstein

C’est la nouvelle du jour, présentée comme une catastrophe ce 26 mars : la France s’acheminerait vers un déficit budgétaire de 5,5 % du PIB. Président de la Cour des comptes et ancien ministre « socialiste », Moscovici explique sur France Inter qu’il n’y a pas d’autre choix que de couper au moins 50 milliards d’euros dans la dépense publique.

Pourquoi ? Parce que, voyez-vous, le gouvernement ne peut ni augmenter les impôts ni décréter la reprise de la croissance économique. Donc « il faudra faire des économies ». Mais attention, il s’agira d’« efforts équitablement partagés et ressentis comme justes ». Nous voilà rassurés…

Sauf que Moscovici, écartant toute économie sur les dépenses décrétées « incompressibles », concentre son appel à des « efforts » sur « l’État, les collectivités territoriales et la Sécurité sociale ». Autrement dit : les services publics, en particulier l’école, les hôpitaux, les centres de santé… et l’assurance maladie et les retraites ! Bref, ce serait aux travailleurs de combler ce déficit, au prix de leur santé, de l’éducation des enfants, des emplois publics. Comme s’ils en étaient responsables ! 

Il n’en est rien. D’où vient-il, ce déficit ? Au titre des dépenses incompressibles, Moscovici range la guerre : « Le financement des dépenses supplémentaires que nous devons faire à l’égard de l’Ukraine. » Incompressible aussi dans sa bouche la charge de la dette, c’est-à-dire les près de 60 milliards d’euros par an versés aux grandes banques au titre des intérêts de la dette, qui seront bientôt, nous prévient-il, de l’ordre de 80 milliards d’euros. Quatre-vingts milliards d’euros, c’est aussi ce que coûtent à l’État les exonérations de cotisations de Sécurité sociale indûment accordées aux patrons, véritable détournement du salaire différé des travailleurs. Quant aux ressources… pas question pour Moscovici et les autres de toucher aux 146 milliards d’euros de bénéfices réalisés par les entreprises du CAC40 l’an dernier.

Alors, non, Moscovici, votre déficit n’est pas celui des travailleurs ! Votre déficit résulte des choix de classe faits par ce gouvernement au service des capitalistes, des choix qui privilégient la guerre, le pillage de la Sécurité sociale, la destruction des services publics et le gavage des capitalistes !

Dans les jours qui viennent, nul doute que les organisations de travailleurs seront sollicitées par le gouvernement pour des « concertations » et autres simagrées de « dialogue social » où elles seront invitées à faire des propositions pour que tout le monde puisse se serrer la ceinture… « équitablement » évidemment.

L’indépendance du mouvement ouvrier exige que les organisations qui parlent au nom des travailleurs rétorquent fermement au gouvernement : ce déficit n’est pas celui des travailleurs, on ne touche pas aux conquêtes ouvrières, à l’école, aux hôpitaux, à la Sécurité sociale, aux droits de la population.

Ce déficit n’est pas le nôtre.

C’est leur déficit, leur crise, leur guerre. En un mot : la faillite de leur système.