« Je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand »

Le 21 février, Macron a présidé la cérémonie d’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian. À cette occasion, l’énumération des noms des vingt-trois fusillés du groupe Manouchian a été ponctuée par des soldats scandant : « Morts pour la France ! »

Quelle motivation avait conduit ces vingt-trois militants ouvriers de toutes nationalités à s’engager dans le combat de résistance contre le nazisme ? Était-ce « pour la France » ?

On lira ci-dessous la dernière lettre de Missak Manouchian, écrite quelques heures avant son exécution au fort du Mont-Valérien. Lui et ses camarades y avaient été conduits après avoir été traqués par la police française. Nous la publions en intégralité

G. F.

 21 février 1944, Fresnes

Ma chère Méline, ma petite orpheline bien aimée. Dans quelques heures je ne serai plus de ce monde. On va être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas, pourtant, je sais que je ne te verrai plus jamais. Que puis-je t’écrire, tout est confus en moi et bien clair en même temps. Je m’étais engagé dans l’armée de la Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous ! – J’ai un regret profond de ne t’avoir pas rendue heureuse, j’aurais bien voulu avoir un enfant de toi comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre sans faute et avoir un enfant pour mon honneur, et pour accomplir ma dernière volonté. Marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je lègue à toi à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l’armée française de la Libération.

Avec l’aide des amis qui voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l’heure avec courage et sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait mal à personne et si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine. Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant au soleil et à la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai Adieu ! à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t’embrasse bien bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu.

Ton ami, ton camarade, ton mari. Manouchian Michel.

P. S. J’ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armène.

M. M.