Deux livres de Jean-Henri Fabre : “Une ascension au Mont Ventoux” et “Respiration des plantes”

Une ascension au Mont Ventoux


L’objet se présente comme un livre plutôt minuscule. 7X110x170 mm. En tout 88 pages.
Rivages poche Petite bibliothèque. 5,10 euros.

Vous allez trouver là dedans Une préface et notes, le récit Une ascension au mont Ventoux, suivi de Les Émigrants de Jean-Henri Fabre puis en appendice l’Ascension du Mont Ventoux par Pétrarque. Ça fait beaucoup de choses en peu d’espace mais c’est dense, Voyez plutôt.

En 1865, le savant entomologiste et botaniste Jean-Henri Fabre organise sa vingt troisième ascension du Mont Ventoux pour aller étudier faune et flore avec deux amis savants. Ils sont accompagnés d’une demi douzaine de jeunes curieux, désireux de faire un peu de sport. Ils ont embauché le guide expérimenté qui conduira les deux mulets chargés de la logistique. Le départ se fait très tôt de Bédoin.

On imagine nos héros, soucieux de vérifier l’exactitude de leurs observations précédentes et à l’affût d’une nouveauté qui viendrait s’y ajouter, allant de droite à gauche comme des gamins émerveillés. Arrivés à la Fontaine de L’Oule : pause repas. Sa description seule justifierait le livre.

Quand, l’ascension les ayant menés au sommet, ils se séparent d’un des trois collègues parti chercher une plante, J-H Fabre fait la découverte de quelques centaines d’Ammophiles (Ammophila hirsuta) un insecte qu’il connaît bien en plaine. Ils sont agglutinés de sorte que lorsqu’il les prendra dans ses deux mains, pas un seul ne lâchera le groupe. Cela pose problème car ces insectes sont parfaitement solitaires§ en plaine. Sa réflexion est exposée dans la troisième partie de ce livre : Les Émigrants.

Mais sur le moment la situation devient périlleuse. Un orage aussi brusque que dense s’abat sur eux. En cherchant leur ami éloigné ils perdent le nord. Il faut rejoindre l’abri où les attend le guide mais dans quelle direction ? Ne pas se tromper de direction sinon c’est le précipice ! Le suspense s’installe. Comment s’en sortiront-ils ? Comme les Ammophiles hirsutes, en s’accrochant les uns aux autres. L’unité, il n’y a pas que pour la classe ouvrière qu’elle est vitale… et quand on la tient, il ne faut pas la lâcher.

Dans la partie suivante, J-H Fabre émet des hypothèses sur les causes du regroupement des insectes qu’il a observé. Mais il pose, avant de développer son hypothèse, les principes de la méthode scientifique : « …j’avais eu une de ces bonnes fortunes entomologiques qui seraient riches de conséquences si elles se présentaient assez fréquemment pour se prêter à des études suivies. Malheureusement mon observation est unique, et je désespère de jamais la renouveler. Je ne pourrai donc étayer sur elle que des soupçons. C’est aux observateurs futurs de remplacer mes probabilités par des certitudes. »

Avant de terminer ce commentaire sur une lecture qui mérite d’être découverte ou reprise il me reste une anecdote à rapporter : un ami avec qui je parlais des Ammophiles hirsutes me raconte ce qu’il a trouvé en lisant « Les souvenirs entomologiques » de J-H Fabre. A cause de ce qu’il a observé du comportement des Ammophiles (mentionné dans le livre), l’entomologiste ne peut croire à la théorie que Darwin a publié récemment. Il « se fait fort, s’il parvient à rencontrer Darwin de lui montrer qu’il se trompe ». Mon ami mérite toute ma confiance mais conformément à la méthode scientifique, je demande à un autre ami lecteur des souvenirs de J-H Fabre de confirmer. Celui-ci ne se souvient pas d’avoir lu cela mais dit-il, il y a des éditions qui sautent des passages. Alors comme dans la citation ci-dessus, « c’est aux observateurs futurs de remplacer mes probabilités par des certitudes ». L’hypothèse, le « soupçon » est que ce doute de J-H Fabre de la validité de la théorie de Darwin illustre merveilleusement les difficultés qu’elle a rencontré y compris dans le monde authentiquement scientifique.

Le livre mérite ses lecteurs, la montagne mérite le déplacement.


Respiration des plantes.

Encore un livre plutôt minuscule. 10X110x170 mm. En tout 143 pages. Rivages poche Petite bibliothèque. 8,50 euros.

            L’éditeur a choisi des extraits de « Leçons à mon fils sur la botanique » de Jean-Henri Fabre (1876) qu’il décide de publier dans ce petit livre. La réputation de l’écrivain n’est plus à faire. Ses écrits se lisent tout seuls et coulent sans effort et sans remous. Quelques titres de chapitres : l’individu végétal ; les feuilles ; sommeil des plantes ; respiration des plantes ; …

            Nourrissant la réflexion abordée ci-dessus, (J-H Fabre voulait-il expliquer à Darwin pourquoi il se trompait ?), ce recueil d’extraits reprend par deux fois des passages laissant supposer une croyance de notre auteur en l’œuvre d’un Créateur. 

Page 114, fin du paragraphe :  « Qui ne reconnaîtrait dans ces merveilleuses harmonies entre la fleur et son auxiliaire, l’insecte, des arrangements combinés par l’éternelle Raison ! »

Page 122, fin du chapitre : « Séparant ce que l’hybridation avait associé, la plante revient d’elle-même à ses origines premières et nous donne ainsi le plus frappant exemple de l’inflexible puissance préposée par le Créateur au maintien des espèces. »

            Avec ces deux phrases, notre entomologiste sort du domaine de la science. Comme père il peut se sentir autorisé à entraîner son fils sur le terrain des croyances. Comme homme de science il doit s’en tenir à ce qu’il voit. La science valide ce qui peut être vu, observé, autant de fois que l’observation se présente ou se répète. Ce qui vient après n’est qu’ hypothèses et « soupçons ». La foi doit être libre de s’exprimer sur le champ qui lui est propre et qui est différent du champ scientifique. En résumé, pour les sciences physiques ou naturelles, se garder de faire dire à ce qui est observable autre chose que ce qu’on observe.

            Darwin connaissait bien J-H Fabre. Le préfacier nous dit qu’il l’a décrit comme un « inimitable observateur ». Inimitable, bien sûr car on sait que dans son domaine des insectes et des plantes il atteint des sommets (et pas seulement celui du Mont Ventoux). Observateur n’est pas à prendre dans un sens péjoratif car pour un scientifique comme Darwin, l’observation est avec la prise de notes le principal outil de formation de la connaissance.

            Un livre pédagogique (ce n’est pas une insulte).

yves C.