A propos de Giono

Les éditions Folio ont créé une collection : « Folio 2 € / 3 € ». Je suis tombé l’autre jour sur un présentoir plein de petits livres – petits par leur volume. Est-ce pour faire comme dans les assiettes ? Si la viande est trop chère, on en met moins. Est-ce pour se calquer sur les écrits courts des réseaux sociaux où les caractères sont comptés ?Est-ce que l’univers de l’impression est mesuré comme l’univers intergalactique par une constante, en l’occurrence la vitesse de la lumière ? Plus de livres imprimés multiplié par moins de pages dans les livres égale constante ?

Je prends de Jean Giono : « Refus d’obéissance », 119 pages. Un article contre la guerre publié en 1934 et quatre chapitres inédits du roman « Le Grand Troupeau ». Giono dit : « bien des amis m’ont demandé de publier ces textes réunis. Je n’en voyais pas l’utilité. Maintenant j’en vois une : je veux donner à ces pages la valeur d’un refus d’obéissance ». (Éditions Gallimard 1937). Malheureusement l’utilité de cette publication est bien visible aussi en 2024.

            Je me retiens de citer in extenso ce premier texte titré « Je ne peux pas oublier » (13 pages) et je vous suggère de foncer chez votre libraire commander ce N°6563 de folio 3 euros. Si le libraire ne l’a pas en rayon, commandez-en deux. Vous laisserez le deuxième au libraire en lui demandant de le remplacer quand il sera vendu.

Quelle jubilation de lire ces lignes clairvoyantes, pleines de bon sens.

            Giono écrit : « J’ai fait toutes ces attaques sans fusil ou bien un fusil inutilisable. (…) Je n’ai pas honte mais à bien considérer ce que je faisais, c’était une lâcheté. J’avais l’air d’accepter. Je n’avais pas le courage de dire : « Je ne pars pas à l’attaque ». (…) Je n’ai qu’une seule excuse : c’est que j’étais jeune. Je ne suis pas un lâche. J’ai été trompé par ma jeunesse et j’ai également été trompé par ceux qui savaient que j’étais jeune. (…) C’étaient des hommes eux, vieillis, connaissant la vie et les roublardises, et sachant parfaitement bien ce qu’il faut dire aux jeunes hommes de 20 ans pour leur faire accepter la saignée. Il y avait là des professeurs, tous les professeurs que j’avais eus depuis la 6e, des magistrats de la République, des ministres, le président qui signe les affiches, enfin tous ceux qui ont un intérêt quelconque à se servir du sang des enfants de 20 ans »

Là on s’arrête et on se rappelle avoir lu dans La Tribune des travailleurs que le rectorat de Paris avait enjoint les professeurs d’assurer la formation de leurs élèves aux valeurs républicaines et à la Défense nationale. On a lu dans La Tribune des travailleurs que l’autorité militaire d’un des départements de Bretagne a envoyé un texte aux Maires dans le but de justifier un soutien à la guerre en Ukraine. On suit les efforts de Macron pour imposer le SNU et la résistance qu’ils rencontrent. Suggestion : que les professeurs étudient ce texte avec leurs élèves.

            Plus loin Giono écrit : « A la guerre j’ai peur, j’ai toujours peur, je tremble, je fais dans ma culotte. Parce que c’est bête, parce que c’est inutile. Inutile pour moi. Inutile pour le camarade qui est avec moi sur la ligne des tirailleurs. Inutile pour le camarade en face. Inutile pour le camarade qui est à côté du camarade en face de la ligne de tirailleurs qui avance vers moi… »

Un peu plus loin : « Celui qui est contre la guerre est par ce seul fait dans l’illégalité. L’état capitaliste considère la vie humaine comme la matière véritablement première de la production du capital. Il conserve cette matière tant qu’il est utile pour lui de la conserver. Il l’entretient car elle est une matière et elle a besoin d’entretien (…). Il a des maternités où l’on accouche les femmes (…). Il a des écoles où les inspecteurs primaires viennent caresser les joues des enfants. Il a des stades (…). Il a des casernes. »

            Un peu après : « L’état capitaliste (…) pour produire le capital a, à certains moments, besoin de la guerre, comme un menuisier a besoin d’un rabot. Il se sert de la guerre ».

Curieuse coïncidence, le ministre des Finances vient de voler 10 milliards dans le budget voté de l’état, pour, dit-il, diminuer le déficit, en fait glisser à l’économie de guerre. Ces milliards qui vont manquer aux travailleurs, aux hôpitaux, aux écoles, etc, ont été comparés à un coup de rabot par les journalistes. Guerre à l’intérieur et à l’extérieur. Les victimes sont les mêmes. Les outils comparables.

Le livre est petit en volume mais quel ouvrage formidable. Question densité ça évoque les étoiles à neutrons.

Juste une remarque : la désobéissance individuelle fait des déserteurs, des objecteurs de consciences qui seront soit emprisonnés, soit fugitifs, soit fusillés pour l’exemple. La désobéissance individuelle n’a jamais arrêté une guerre. Une classe sociale organisée de la base au sommet, unie et résolue peut le faire. Elle doit se doter, pour cela, d’un parti des travailleurs.

YC

Les années – Annie Ernaux

Dans ce livre autobiographique au ton impersonnel (tout est écrit à la troisième personne du singulier comme si l’auteur se contentait de décrire, au travers de quelques photos, les souvenirs et impressions d’une personne étrangère), l’auteure se livre à nous. Plus qu’un simple récit anecdotique, c’est une frise du temps qui s’ouvre à nous partant des ruines des villes et villages après la guerre jusqu’au début du XXI° siècle. Pourquoi ce livre ? Annie Ernaux répond dans les dernières pages :

« Ce ne sera pas un travail de remémoration tel qu’on l’entend, généralement, visant à la mise en récit d’une vie, à une explication de soi. Elle ne regardera en elle-même que pour y retrouver le monde, la mémoire et l’imaginaire, des jours, passer du monde, saisir le changement des idées, des croyances et de la sensibilité, la transformation des personnes et du sujet, qu’elle a connu, et qui ne sent rien, peut-être, auprès de ce grand connu, sa petite fille et tous les vivants en 2070. »

Souvenirs des ruines, des reconstructions, des magasins aux grandes surfaces, des vinyls puis des CD, des chansons, des films, des livres, … Souvenirs aussi des études, du travail, des problèmes, de la vie sexuelle, … Souvenirs historiques aussi au travers des grands évènements politiques, guerres de Corée, du Vietnam, indépendance de l’Algérie, les élections en France, mai-juin 68 dont elle analyse ainsi le dénouement :

« Les élections, ce n’était pas choisir, c’était reconduire les notables en place pour rien. De toute façon, la moitié des jeunes n’avait pas vingt et un ans, ils ne votaient pas. Au lycée, à l’usine, la CGT et le PC recommandaient la reprise du travail. On pensait qu’avec leur élocution lente ou rocailleuse de faux paysans, leurs porte-parole nous avaient bien entubés. Ils gagnaient la réputation « d’alliés objectifs du pouvoir » et de traîtres staliniens, dont tel ou telle, sur le lieu de travail, allait devenir pour des années, la figure achevée, cible de toutes les attaques. »

L’auteur

Depuis que Annie Ernaux a reçu le Nobel de littérature en 2022, elle bénéficie d’une publicité médiatique importante qui ne devrait pourtant pas empêcher la lecture de ses livres. Le quotidien « Le Monde » a publié le discours qu’elle prononça lors de la remise de son Nobel. Vous pouvez le lire en cliquant ci-dessous.

Jacno

Les années – Annie Ernaux (Ed. Folio – 8,70 €)

L’oreille de Kiev – Andreï Kourkov


Kiev (Ukraine), début de l’année 1919. Pour la deuxième fois, l’armée rouge est victorieuse en Ukraine contre les Russes blancs du général Denikine et les partisans de Symon Petlioura. Le roman de Kourkov commence mal pour son héros Samson : son père est tué par un cosaque qui sabre tous ceux qui se trouvent sur son passage et lui, Samson, a son oreille droite coupée. Cette oreille, enfermée dans une petite boîte métallique, va jouer un rôle bien particulier dans cette histoire. Tout à fait par hasard, cherchant du travail maintenant que ce jeune étudiant se retrouve orphelin, il se verra proposer un poste d’enquêteur dans la milice. Il rencontrera aussi Nadejda, jeune bolchevique convaincue (contrairement à lui) qui deviendra sa colocataire avant de devenir, certainement dans le prochain roman de Kourkov, son épouse.

Et nous voilà entraînés, au travers d’une enquête policière passionnante, dans le Kiev du début des années 1919 au milieu des difficultés d’approvisionnement de nourriture, de bois pour se chauffer ou alimenter la centrale électrique, des incursions et des attaques des anti-bolchéviques, des vols, des meurtres, …Andreï Kourkov s’appuie, pour restituer au mieux ces années-là , sur un grand travail de recherche dans les documents de l’époque. Comme il l’explique dans l’avant-propos du livre : « Je suis devenu un familier de la Kiev de 1919, je connais certains de ses habitants et leurs adresses, je me promène dans ses rues accompagnées des héros des rapports de police et des personnages de mon livre. »

A noter parmi les soldats de l’armée rouge à Kiev, la présence de très nombreux chinois. En effet, au moment de la révolution russe, en octobre 1916, il y avait près de 200 000 chinois employés en Russie. Près de 40 000 d’entre eux rejoignirent l’armée rouge pour diverses raisons (conviction politique, possibilité d’avoir un travail et un salaire pour vivre ou rentrer chez eux,…).

L’auteur

Andreï Kourkov est né en 1961. Écrivain ukrainien, où il habite dès ses 2 ans et termine ses études à l’Institut d’État de pédagogie des langues étrangères en 1983, il écrit en langue russe. Il commence à être connu en France avec la traduction de son roman « Le pingouin » (avec sa suite « Les pingouins n’ont jamais froid »). Depuis 1996, il vit en partie à Londres. Il préside l’Union des écrivains ukrainiens.

Jacno

L’oreille de Kiev – Andreï Kourkov (Éditions Liana Levi – 22 €)

Regarde les lumières mon amour – Annie Ernaux

Tiens, un livre consacré à l’hypermarché  Auchan de Cergy ! Un roman ? Un carnet de bord ? Un journal intime ? Une étude sociologique ? Ou, plus simplement, un livre d’Annie Ernaux. En 2012, 2013, Annie Ernaux est allée régulièrement faire ses courses à ce magasin et elle raconte ce qu’elle voit, ce qu’elle ressent. Elle y retournera 3 ans plus tard et constatera, outre quelques petits aménagements, que « l’hyper continue de jouer à fond son rôle réactionnaire d’aménageur des effets du chômage et des bas salaires ». Publié en 2014, ce livre est aussi une une analyse de la société dite de consommation et des différentes classes sociales qui se reflètent dans ce magasin et la façon dont il agit et réagit par rapport à elles.

Le titre de cet ouvrage peut surprendre au premier regard mais il suffit de parcourir le livre pour en comprendre la raison.

Bien sûr, entre autres, elle s’intéresse au rayon librairie. Alors qu’au rayon « NOUVELLES TECHNIQUES, CONNECTIQUE » on trouve des vendeurs pour renseigner les clients ce « sont tous des garçons jeunes, généralement bien de leur personne, évoluant avec décontraction entre les comptoirs, conscients de leurs savoirs en matière de nouvelles technologies »), il n’y a personne auprès des livres et de la presse. « Point presse d’Auchan. Je ne m’habitue pas aux endroits où sont vendus les journaux sans qu’il y ait un kiosque capable de vous dire où se trouve le magazine que vous cherchez. »

Au rayon des bonbons et biscuits en vrac, l’auteure note le panneau « Consommation sur place interdite » alors que dans l’espace librairie on peut lire « Par respect pour nos clients, il est interdit de lire les revues et les magazines dans le magasin. » Et pourtant, « …, une jeune femme, vêtue mode, est plongée dans un livre dont je ne vois pas le titre. À côté, un enfant lit une BD. Réjouissant de constater qu’ils sont assis juste au-dessous du panneau d’interdiction de lire. » « Des couvertures de magazines sont froissées. (…) Auchan se soucie davantage des bonbons fraudés aux super discount que des journaux détériorés. »

L’auteur

Depuis que Annie Ernaux a reçu le Nobel de littérature en 2022, elle bénéficie d’une publicité médiatique importante qui ne devrait pourtant pas empêcher la lecture de ses livres. Le quotidien « Le Monde » a publié le discours qu’elle prononça lors de la remise de son Nobel. Vous pouvez le lire en cliquant ci-dessous.

Jacno

Regarde les lumières mon amour – Annie Ernaux (Ed. Folio – 6,90 €)

Stöld – Ann-Helén Laestadius

Stöld, en français, se traduit par « vol ».
On aurait tort de ne voir dans ce livre qu’un simple thriller. Bien sûr, il y a une intrigue « policière » mais bien plus que cela, c’est l’histoire d’un peuple, les samis dont le territoire occupait autrefois une grande partie de la Norvège, de la Finlande, de la Suède et de la Russie. Immense territoire d’un peuple nomade qui vivait de pêche et de chasse avant de se sédentariser et d’élever des rennes. Immense territoire qui fut peu à peu morcelé entre les différents pays et dans lequel les Samis n’ont plus eu que le droit de circuler et d’élever des rennes. Et encore, avec des limites. Ainsi, « en 1886, la Suède vote une « loi sur l’élevage des rennes » qui interdit aux Samis de posséder des terres ou des droits d’utilisation de l’eau. Cette même loi définit légalement un sami comme quelqu’un dont le revenu principal est lié à l’élevage de rennes et sur des bases généalogiquesEn 1920, un accord entre la Suède et la Norvège interdit aux éleveurs de faire traverser la frontière entre leurs pays à leurs troupeaux. » (Wikipedia – https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Samis )

Depuis plusieurs dizaines d’années, pour exploiter le riche sous-sol ou pour l’industrie du bois, des espaces entiers sont déboisés sans tenir compte des pâturages traditionnels des rennes. En mars dernier, le gouvernement suédois a encore donné son feu vert à un des projets miniers les plus controversés de ces dernières décennies en Suède, une mine de fer à Kallak à quelques kilomètres du cercle polaire. Non seulement des pâturages vont être interdits aux rennes mais l’infrastructure nécessaire pour le transport du matériel et du minerai va bloquer des chemins de transhumance et traverser un site classé en 1996 par l’Unesco au Patrimoine de l’humanité.

Le « Stöld » dont il est question dans ce livre, c’est celui des rennes qui sont tués, assassinés, torturés par des braconniers. Elsa, 9 ans, découvre l’un d’eux qui vient de tuer son jeune faon. Il la menace de mort si elle le dénonce et elle n’ose le faire. Elle ne le fera pas et gardera enfoui au plus profond d’elle ce secret, ce traumatisme.  A cela s’ajoute la xénophobie profonde qui règne dans le pays, les insultes à l’égard des samis que l’on traite de « lapons » (terme péjoratif, issu de la racine lapp qui signifie porteur de haillons en suédois), le mépris des policiers qui classent toujours sans suite les nombreuses plaintes des éleveurs confrontés à ces vols. 10 ans plus tard, en 2018, rien n’a changé. Elsa garde toujours en elle le souvenir de l’assassinat de son faon et essaie tant bien que mal de faire bouger les choses tant par rapport aux vols de Rennes que par rapport à sa place dans la société Sami. « Être Sami, c’est porter son histoire avec soi. Se trouver enfant avec un lourd sac à dos et choisir ou non de le porter. Mais comment oser choisir autre chose que de porter l’histoire de sa famille et de transmettre son héritage ? » dit-elle. Elle a choisi, elle est Sami et entend bien le rester.Mais en tant que femme, son sac à dos est encore plus lourd. Ce sont les mâles qui héritent des troupeaux, qui s’en occupent, qui siègent au parlement sami. La place de la femme ? Elsa l’explique : « Niko recherchait une femme qui saurait s’occuper d’un foyer, qui ne se plaindrait jamais de se retrouver seule pendant des semaines et des mois, qui s’assurerait de remplir le réfrigérateur et de moucher les marmots ».

De 2008 à 2019, on va donc suivre le cheminement d’Elsa. On va plonger aussi en plein dans la renniculture, suivre l’élevage des rennes au fil des saisons, au fil des années, au fil des changements climatiques aussi.


L’autrice s’appelle Ann-Helén Laestadius. Elle est née en 1971, elle est journaliste et écrivaine sami. En 2016, son roman Tio över ett a remporté le prix suédois August comme meilleur livre dans la catégorie enfants et jeunes adultes. Vivant maintenant à Solna près de Stockholm , elle travaille comme journaliste depuis 1990. 

Jacno

Ce livre devrait être adapté à l’écran pour Netflix à partir du printemps 2023.

Un fou – Leslie Kaplan

Si vous avez 30 minutes à ne pas perdre, n’hésitez pas à lire « Un fou » de Leslie Kaplan. Dans ce petit livre d’une centaine de pages (en plus, ça repose des romans fleuves de plus de 400 pages), vous découvrirez Simon, grand colorieur qui s’applique et ne dépasse pas, grand connaisseur aussi des vaches et qui déclare « je suis fou ». Vous découvrirez aussi un président de la République qui fait, sans gardes du corps, sans accompagnateur, sans la presse des « visites surprises » dans une école, un lycée, une université et tient des propos pour le moins surprenants. Et le même scénario se reproduit dans un cirque, près de touristes américains. Très vite, l’Élysée dément : « un imposteur usurpait la place, le rôle, la figure, l’image du président » . Simon ne nie pas en être le responsable mais, rapidement, il n’est plus seul. Ce phénomène de « visites surprises », de prises de parole publiques s’amplifia, ces interventions furent reprises par de nombreuses personnes sur leurs lieux de travails, sur les murs des villes. Jusqu’aux élèves du primaire qui, la craie à la main, remplissaient les murs de graffitis. Le mouvement s’amplifia… auquel répondit le pouvoir : 

« Matraquages.
Grenades.
Manifestants gravement blessés.
 »

Comme le dit la dernière phrase du livre « on était dans un drôle de moment ».

Bien sûr, vous connaissez la formule : « toute ressemblance avec des personnes réels, avec des événements actuels, etc. etc. »

« Un fou » de Leslie Kaplan – Ed. P. O. L. – 10 €

Jacno

Deux livres de Jean-Henri Fabre : “Une ascension au Mont Ventoux” et “Respiration des plantes”

Une ascension au Mont Ventoux


L’objet se présente comme un livre plutôt minuscule. 7X110x170 mm. En tout 88 pages.
Rivages poche Petite bibliothèque. 5,10 euros.

Vous allez trouver là dedans Une préface et notes, le récit Une ascension au mont Ventoux, suivi de Les Émigrants de Jean-Henri Fabre puis en appendice l’Ascension du Mont Ventoux par Pétrarque. Ça fait beaucoup de choses en peu d’espace mais c’est dense, Voyez plutôt.

En 1865, le savant entomologiste et botaniste Jean-Henri Fabre organise sa vingt troisième ascension du Mont Ventoux pour aller étudier faune et flore avec deux amis savants. Ils sont accompagnés d’une demi douzaine de jeunes curieux, désireux de faire un peu de sport. Ils ont embauché le guide expérimenté qui conduira les deux mulets chargés de la logistique. Le départ se fait très tôt de Bédoin.

On imagine nos héros, soucieux de vérifier l’exactitude de leurs observations précédentes et à l’affût d’une nouveauté qui viendrait s’y ajouter, allant de droite à gauche comme des gamins émerveillés. Arrivés à la Fontaine de L’Oule : pause repas. Sa description seule justifierait le livre.

Quand, l’ascension les ayant menés au sommet, ils se séparent d’un des trois collègues parti chercher une plante, J-H Fabre fait la découverte de quelques centaines d’Ammophiles (Ammophila hirsuta) un insecte qu’il connaît bien en plaine. Ils sont agglutinés de sorte que lorsqu’il les prendra dans ses deux mains, pas un seul ne lâchera le groupe. Cela pose problème car ces insectes sont parfaitement solitaires§ en plaine. Sa réflexion est exposée dans la troisième partie de ce livre : Les Émigrants.

Mais sur le moment la situation devient périlleuse. Un orage aussi brusque que dense s’abat sur eux. En cherchant leur ami éloigné ils perdent le nord. Il faut rejoindre l’abri où les attend le guide mais dans quelle direction ? Ne pas se tromper de direction sinon c’est le précipice ! Le suspense s’installe. Comment s’en sortiront-ils ? Comme les Ammophiles hirsutes, en s’accrochant les uns aux autres. L’unité, il n’y a pas que pour la classe ouvrière qu’elle est vitale… et quand on la tient, il ne faut pas la lâcher.

Dans la partie suivante, J-H Fabre émet des hypothèses sur les causes du regroupement des insectes qu’il a observé. Mais il pose, avant de développer son hypothèse, les principes de la méthode scientifique : « …j’avais eu une de ces bonnes fortunes entomologiques qui seraient riches de conséquences si elles se présentaient assez fréquemment pour se prêter à des études suivies. Malheureusement mon observation est unique, et je désespère de jamais la renouveler. Je ne pourrai donc étayer sur elle que des soupçons. C’est aux observateurs futurs de remplacer mes probabilités par des certitudes. »

Avant de terminer ce commentaire sur une lecture qui mérite d’être découverte ou reprise il me reste une anecdote à rapporter : un ami avec qui je parlais des Ammophiles hirsutes me raconte ce qu’il a trouvé en lisant « Les souvenirs entomologiques » de J-H Fabre. A cause de ce qu’il a observé du comportement des Ammophiles (mentionné dans le livre), l’entomologiste ne peut croire à la théorie que Darwin a publié récemment. Il « se fait fort, s’il parvient à rencontrer Darwin de lui montrer qu’il se trompe ». Mon ami mérite toute ma confiance mais conformément à la méthode scientifique, je demande à un autre ami lecteur des souvenirs de J-H Fabre de confirmer. Celui-ci ne se souvient pas d’avoir lu cela mais dit-il, il y a des éditions qui sautent des passages. Alors comme dans la citation ci-dessus, « c’est aux observateurs futurs de remplacer mes probabilités par des certitudes ». L’hypothèse, le « soupçon » est que ce doute de J-H Fabre de la validité de la théorie de Darwin illustre merveilleusement les difficultés qu’elle a rencontré y compris dans le monde authentiquement scientifique.

Le livre mérite ses lecteurs, la montagne mérite le déplacement.


Respiration des plantes.

Encore un livre plutôt minuscule. 10X110x170 mm. En tout 143 pages. Rivages poche Petite bibliothèque. 8,50 euros.

            L’éditeur a choisi des extraits de « Leçons à mon fils sur la botanique » de Jean-Henri Fabre (1876) qu’il décide de publier dans ce petit livre. La réputation de l’écrivain n’est plus à faire. Ses écrits se lisent tout seuls et coulent sans effort et sans remous. Quelques titres de chapitres : l’individu végétal ; les feuilles ; sommeil des plantes ; respiration des plantes ; …

            Nourrissant la réflexion abordée ci-dessus, (J-H Fabre voulait-il expliquer à Darwin pourquoi il se trompait ?), ce recueil d’extraits reprend par deux fois des passages laissant supposer une croyance de notre auteur en l’œuvre d’un Créateur. 

Page 114, fin du paragraphe :  « Qui ne reconnaîtrait dans ces merveilleuses harmonies entre la fleur et son auxiliaire, l’insecte, des arrangements combinés par l’éternelle Raison ! »

Page 122, fin du chapitre : « Séparant ce que l’hybridation avait associé, la plante revient d’elle-même à ses origines premières et nous donne ainsi le plus frappant exemple de l’inflexible puissance préposée par le Créateur au maintien des espèces. »

            Avec ces deux phrases, notre entomologiste sort du domaine de la science. Comme père il peut se sentir autorisé à entraîner son fils sur le terrain des croyances. Comme homme de science il doit s’en tenir à ce qu’il voit. La science valide ce qui peut être vu, observé, autant de fois que l’observation se présente ou se répète. Ce qui vient après n’est qu’ hypothèses et « soupçons ». La foi doit être libre de s’exprimer sur le champ qui lui est propre et qui est différent du champ scientifique. En résumé, pour les sciences physiques ou naturelles, se garder de faire dire à ce qui est observable autre chose que ce qu’on observe.

            Darwin connaissait bien J-H Fabre. Le préfacier nous dit qu’il l’a décrit comme un « inimitable observateur ». Inimitable, bien sûr car on sait que dans son domaine des insectes et des plantes il atteint des sommets (et pas seulement celui du Mont Ventoux). Observateur n’est pas à prendre dans un sens péjoratif car pour un scientifique comme Darwin, l’observation est avec la prise de notes le principal outil de formation de la connaissance.

            Un livre pédagogique (ce n’est pas une insulte).

yves C.

Poussière dans le vent

de Leonardo Padura

Leonardo Padura est un journaliste, écrivain, scénariste cubain né en 1955. Il est l’auteur d’une dizaine de romans policiers dont le héros est le commissaire Mario Conde. Il a écrit également de nombreux essais littéraires et plusieurs romans. Parmi ceux-ci, citons en particulier “L’homme qui aimait les chiens“. Ce livre raconte, à trois voix, l’assassinat de Léon Trotsky en 1940 au Mexique. Ces voix sont celle de Léon Trotski depuis son exil à Alma ATA au Kazakhstan jusqu’à son assassinat commandité par Staline, celle de son assassin Ramón Mercader, alias Jacques Mornard et celle du narrateur, un écrivain végétant dans un cabinet vétérinaire de La Havane qui rencontre, sur une plage, en 1977, Mercader.

Le titre de ce nouveau livre est “Poussière dans le vent“(1) publié aux éditions Métailié.  Dans ce livre la politique, l’amour, l’amitié, la trahison, la mort, l’exil se mêlent constamment au travers de la vie des personnages du clan. Le clan, c’est ce groupe de 8 cubains de La Havane qui se retrouvent régulièrement pour des fêtes, des anniversaires, partager la nourriture et les boissons qu’ils arrivent à récupérer à droite et à gauche. Leur histoire commence au moment de la chute du mur de Berlin, à la fin de l’URSS alors que toute l’aide que celle-ci apportait à Cuba va disparaître. 20 ans plus tard, l’espoir que l’embargo des Etats-Unis pourrait disparaître commencera à naître avec la visite de Obama à Cuba.

Mais entre-temps, nombre des membres du clan, cette “confrérie de belles personnes s’efforçant d’être encore meilleurs, des jeunes gens obéissants qui participaient à un exploit historique” s’exilèrent en Argentine, en France, en Espagne, aux Etats-Unis. Clara restera à Cuba avec ses 2 fils qui prendront également par la suite le chemin de l’exil. Pourquoi fuir ? Bien sûr, pour une “vie meilleure” mais surtout pour pouvoir exploiter pleinement ses potentialités professionnelles que ce pays a su développer gratuitement en leur fournissant une instruction de qualité. Échapper aussi à la contradiction qui fait que tous les “humbles travailleurs avaient accès à un système de santé publique de qualité, mais à la pharmacie la plus proche il n’y avait presque jamais d’aspirine, et malgré ça les gens dansaient, chantaient et ensuite effectuaient du travail volontaire, scandaient des slogans révolutionnaire contre l’embargo américain criminel, (…) pendant que ces mêmes gens ou à peu près partaient pour les États-Unis sur des radeaux ou par n’importe quel moyen pour n’importe où, ou bien restaient vivre à Cuba (…)“.

Mais l’exil, s’il règle parfois la question matérielle, laisse toujours les exilés à cheval sur 2 mondes : celui qu’ils ont quitté et auquel ils restent toujours attachés par mille et une racines et celui où ils vivent désormais et qui ne pourra jamais être complètement le leur. “Pourtant, l’impression de vivre au mauvais endroit et au mauvais moment ne l’avait jamais quitté. Il sentait que sa condition d’exilé, d’émigré ou d’expatrié – peu importe, le résultat pour lui était le même – l’avait empêché de penser même à un bref retour et l’avait condamné à vivre une existence amputée, qui lui permettait d’imaginer un avenir mais où il ne pouvait pas se défaire du passé qu’il avait mené jusque-là et à être qui il était, ce qu’il était et comme il était. La conviction de ne plus jamais avoir d’appartenance ne le quittait jamais“.

Certains, à certains moments, se retrouveront montrant ainsi que par-delà les distances et les “aventures “de vie différentes, la fidélité, l’amitié, l’amour seront toujours présents.  Car restera toujours “l’image d’un clan, à présent dispersé à travers le monde, décimé par la mort, mais fondamentalement impossible à briser“.

Jacno

(1) D’après la chanson du groupe Kansas :

“De la poussière dans le vent
Nous ne sommes que de la poussière dans le vent
De la poussière dans le vent
Chaque chose n’est que de la poussière dans le vent
Le vent…”

Le Programme de transition

de Léon Trotsky

Un livre à écouter !

Le site “Litterature audio.com” propose des milliers de livres audio à télécharger gratuitement et à écouter tranquillement chez soi. Les textes sont lus par des lecteurs bénévoles. Depuis le 18 août de cette année, figure dans son catalogue “le programme de Transition” rédigé par Léon Trotsky en 1938, programme de la IV° Internationale. Le texte que l’on peut écouter est celui de l’édition de 1944 établi par le Secrétariat Européen de la IV° Internationale. 

Sur la page d’accueil du sitehttp://www.litteratureaudio.com/ ), dans la fenêtre de Recherche, tapez simplement “Trotsky” pour trouver le lien de ce texte. La durée d’écoute totale est de 2 h 38 min.

Bonne écoute !

Le Programme de transition : l’agonie du capitalisme et les tâches de la IV° Internationale – de Léon Trotsky – Editions du travail – 4 €

Jacno

Les fantômes de L’Internationale

de Elise Thiébaud

Surprise de l’auteure, Élise Thiébaud, lorsqu’elle découvre, en 2017 “l’impensable : L’Internationale, cet hymne du mouvement social, n’était pas un bien commun. Dans ce livre merveilleusement illustré par Baudoin, elle a donc essayé de comprendre pour quoi et pour qui la SACEM demande des droits d’auteur sur la musique de ce chant révolutionnaire chanté dans le monde entier, devenu depuis bien longtemps le chant de lutte des travailleurs.

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