Les fantômes de L’Internationale

de Elise Thiébaud

Surprise de l’auteure, Élise Thiébaud, lorsqu’elle découvre, en 2017 “l’impensable : L’Internationale, cet hymne du mouvement social, n’était pas un bien commun. Dans ce livre merveilleusement illustré par Baudoin, elle a donc essayé de comprendre pour quoi et pour qui la SACEM demande des droits d’auteur sur la musique de ce chant révolutionnaire chanté dans le monde entier, devenu depuis bien longtemps le chant de lutte des travailleurs.

Avant d’être un chant, le texte fut un “simple” poème. Bien sûr, on sait que l’auteur en est Eugène Potier. On connaît moins la vie littéraire, politique, sociale, sentimentale de cet homme. Mais, nous apprend Élise Thiébaud, “Non seulement il n’a pas soupçonné que l’un de ses poèmes serait chanté par des milliards de personnes dans le monde entier, mais il n’en a jamais entendu la musique, qui a été composée après sa mort “. Maire du deuxième arrondissement de Paris pendant la Commune, pour échapper au massacre versaillais, il s’enfuira, via la Belgique, en Angleterre. Condamné à mort par contumace en 1873, il s’exilera pendant 10 ans aux Etats-Unis. De retour en France, il publiera ses “Chants révolutionnaires” dans lesquels se trouve L’Internationale. Quelques semaines après sa parution, en 1887, il meurt. 

C’est Gustave Delory, militant lillois du POF (Parti Ouvrier Français), futur maire socialiste de Lille, qui aurait eu l’idée de mettre en musique le poème de Potier L’Internationale. Et, en 1888, c’est à Pierre Degeyter qu’il demandera de le mettre en musique (je vous laisse découvrir en lisant le livre l’aventure propre de cette partition -et donc des droits d’auteur- entre Pierre Degeyter d’un côté et son frère Adolphe et Gustave Delory de l’autre). En 1896, au XV° congrès du POF, L’Internationale sera chantée. Elle sera reprise également en 1910 lors du Congrès de la II° Internationale à Copenhague. Dès lors commencera sa “carrière” internationale.

Bizarre tout de même que pour commenter ce congrès de Copenhague, Élise Thiébaud consacre 4 pages de son ouvrage à de très larges extraits d’un texte de “Jean Bourdeau envoyé par l’organe central de l’intelligentsia bourgeoise, la Revue des Deux Mondes” d’autant plus qu’elle qualifie son propos de “raciste, xénophobe et antisémite“. Bizarre aussi qu’elle signale la présence de Lénine au Congrès mais pour dire simplement “Il semble qu’il ait davantage participé à des ébats -avec une belle marxiste dont il s’était épris- qu’à des débats, …”.

En 1922, “l’Union soviétique prend officiellement le chant de Potier et Degeyter pour hymne national. “Et même si l’hymne national de l’Union des républiques socialistes soviétiques remplace finalement L’Internationale à partir de mars 1944 à la demande de Staline qui en commande la musique à Aleksandr Alexandrov, le chant de Degeyter continue d’incarner la révolution, en URSS comme dans le monde entier”.

Bien sûr, le dernier chapitre “autant en emporte le chant” répondra à la question : quid des droits d’auteur aujourd’hui.

“Les fantômes de “ L’Internationale ” de Elise Thiébaud, illustrations de Baudoin – Editions la ville brûle – 19 €

Jacno