Les fleurs noires de Santa Maria

de Herman Rivera Letelier

1907. Chili, dans le désert d’Atacama. Il y a Olegario amoureux de l’image féminine qui orne son paquet de cigarettes et qui a apprivoisé 2 vautours, Idillio le constructeur de cerfs-volants, Rosario le poète aveugle, Gregoria, la veuve au grand cœur, la jeune Liria Maria,… Il y a aussi des milliers de mineurs chiliens, boliviens, argentins, péruviens qui travaillent dans les mines de nitrate. Ce roman, “les fleurs noires de Santa Maria” du chilien Herman Rivera Letelier, fait évoluer ces personnages (et bien d’autres) hauts en couleur au centre de la grande grève des mineurs mêlant lutte sociale, amitiés, amours, solidarité, conflits.

Mardi 10 décembre 1907, les mineurs de San Lorenzo décident de se mettre en grève pour des augmentations de salaire (la livre maison avec laquelle on les paye est de plus en plus dévaluée, les produits des magasins d’alimentation appartenant aux patrons ont plus que doublé). Face au refus du “gringo” qui dirige la mine, ils cessent le travail et vont s’adresser aux autres mines. Rapidement, la grève s’étend. “Du jour au lendemain, notre mouvement de revendication prolétaire prenait une ampleur inespérée et se transformait en un de ces gigantesques tourbillons de sable qui traversent quotidiennement les vastes étendues du désert. L’union des travailleurs du salpêtre attendue depuis tant d’années se réalisait enfin.” …  “Des hommes de différentes races et nationalités (certains s’étaient même récemment affrontés dans une guerre fratricide) se trouvaient aujourd’hui réunis sous une même et unique bannière : celle du prolétariat.”

14 décembre : des milliers de travailleurs accompagnés de leur femme et de leurs enfants se mettent en marche à travers le désert pour rejoindre la ville d’Iquique (à 80 km !) afin de présenter leurs revendications au préfet. A Iquique, ils désignent “une délégation composée d’un dirigeant de chacune des compagnies en grève” pour discuter avec le préfet. Rassemblés sur la place devant la Préfecture, soutenus par les dockers de la ville également en grève, ils écoutent les comptes-rendus des négociations. Ils rejettent les propositions du préfet demandant qu’ils retournent au travail pendant qu’il discutera avec leurs représentants. Ils rejettent aussi divers lieux d’hébergement qui leur sont proposés et acceptent finalement la grande école Santa Maria.

Là, la vie s’organise souvent avec l’aide des commerçants et de la population. Des comités se mettent en place pour l’alimentation, pour l’ordre et la propreté, … La grève s’étend. D’imposants cortèges d’hommes, de femmes et d’enfants continuent à affluer dans la ville. La lutte s’organise aussi : “un comité permanent a été élu (…), il est composé de responsables choisis dans les délégations des différentes compagnies, une sorte de comité central chargé dorénavant de nous représenter dans les négociations avec les autorités et les industriels“. Le cahier des revendications est écrit portant notamment sur les salaires, un échange des jetons de leur paye identique dans toutes les compagnies, la liberté de commerce dans les villages, un local pour les cours du soir, sur les conditions de licenciement, …

La solidarité ouvrière s’organise aussi. “Plusieurs corporations du port et de la côte avaient décidé à l’unanimité de se joindre de manière plus concrète au mouvement de grève des courageux travailleurs du salpêtre”, rejoignant ainsi celles de nombreux autres corps de métier.

Industriels et autorités s’organisent également. De nombreux bateaux déchargent leurs contingents militaires. Industriels et préfet refusent de poursuivre les négociations si le travail ne reprend pas. Les mineurs décident la poursuite de la grève.

Le 21 décembre, les troupes commandées par le général Roberto Silva Renard encerclent l’école Santa Maria où se trouvent plus de 10 000 personnes. Les grévistes refusent de l’évacuer.  Ne parvenant pas à faire céder les grévistes, le général, “dressé sur sa monture, le soleil étincelant sur sn uniforme chamarré, se signe rapidement et lève la main pour donner l’ordre d’ouvrir le feu.” Pacifiques, les mineurs ne croient pas que les soldats vont tirer. Aux premiers coups de feu, certains crient “N’ayez pas peur, les copains, ce sont seulement des tirs à blanc“. Plus de 3 000 hommes, femmes et enfants sont assassinés ce jour-là. Les mineurs regagnent les mines pendant que le président nomme le général attaché militaire en Allemagne en lui disant : ‘Vous avez rempli les devoirs inhérents à votre charge d’une manière qui fait honneur à votre discernement et à votre énergie“.

Mais, conclut le livre, “nous savons que notre mort n’a pas été tout à fait inutile : tôt ou tard elle sera chantée et racontée au monde entier et le monde entier saura que ce massacre perpétré à Iquique le 21 décembre 1907 est la plus infâme des atrocités dont l’histoire du prolétariat universel ait gardé le souvenir“. Ce dont ce livre témoigne.

Les fleurs noires de Santa Maria – Editions Métailié – 10 €

Jacno