A propos de Giono

Les éditions Folio ont créé une collection : « Folio 2 € / 3 € ». Je suis tombé l’autre jour sur un présentoir plein de petits livres – petits par leur volume. Est-ce pour faire comme dans les assiettes ? Si la viande est trop chère, on en met moins. Est-ce pour se calquer sur les écrits courts des réseaux sociaux où les caractères sont comptés ?Est-ce que l’univers de l’impression est mesuré comme l’univers intergalactique par une constante, en l’occurrence la vitesse de la lumière ? Plus de livres imprimés multiplié par moins de pages dans les livres égale constante ?

Je prends de Jean Giono : « Refus d’obéissance », 119 pages. Un article contre la guerre publié en 1934 et quatre chapitres inédits du roman « Le Grand Troupeau ». Giono dit : « bien des amis m’ont demandé de publier ces textes réunis. Je n’en voyais pas l’utilité. Maintenant j’en vois une : je veux donner à ces pages la valeur d’un refus d’obéissance ». (Éditions Gallimard 1937). Malheureusement l’utilité de cette publication est bien visible aussi en 2024.

            Je me retiens de citer in extenso ce premier texte titré « Je ne peux pas oublier » (13 pages) et je vous suggère de foncer chez votre libraire commander ce N°6563 de folio 3 euros. Si le libraire ne l’a pas en rayon, commandez-en deux. Vous laisserez le deuxième au libraire en lui demandant de le remplacer quand il sera vendu.

Quelle jubilation de lire ces lignes clairvoyantes, pleines de bon sens.

            Giono écrit : « J’ai fait toutes ces attaques sans fusil ou bien un fusil inutilisable. (…) Je n’ai pas honte mais à bien considérer ce que je faisais, c’était une lâcheté. J’avais l’air d’accepter. Je n’avais pas le courage de dire : « Je ne pars pas à l’attaque ». (…) Je n’ai qu’une seule excuse : c’est que j’étais jeune. Je ne suis pas un lâche. J’ai été trompé par ma jeunesse et j’ai également été trompé par ceux qui savaient que j’étais jeune. (…) C’étaient des hommes eux, vieillis, connaissant la vie et les roublardises, et sachant parfaitement bien ce qu’il faut dire aux jeunes hommes de 20 ans pour leur faire accepter la saignée. Il y avait là des professeurs, tous les professeurs que j’avais eus depuis la 6e, des magistrats de la République, des ministres, le président qui signe les affiches, enfin tous ceux qui ont un intérêt quelconque à se servir du sang des enfants de 20 ans »

Là on s’arrête et on se rappelle avoir lu dans La Tribune des travailleurs que le rectorat de Paris avait enjoint les professeurs d’assurer la formation de leurs élèves aux valeurs républicaines et à la Défense nationale. On a lu dans La Tribune des travailleurs que l’autorité militaire d’un des départements de Bretagne a envoyé un texte aux Maires dans le but de justifier un soutien à la guerre en Ukraine. On suit les efforts de Macron pour imposer le SNU et la résistance qu’ils rencontrent. Suggestion : que les professeurs étudient ce texte avec leurs élèves.

            Plus loin Giono écrit : « A la guerre j’ai peur, j’ai toujours peur, je tremble, je fais dans ma culotte. Parce que c’est bête, parce que c’est inutile. Inutile pour moi. Inutile pour le camarade qui est avec moi sur la ligne des tirailleurs. Inutile pour le camarade en face. Inutile pour le camarade qui est à côté du camarade en face de la ligne de tirailleurs qui avance vers moi… »

Un peu plus loin : « Celui qui est contre la guerre est par ce seul fait dans l’illégalité. L’état capitaliste considère la vie humaine comme la matière véritablement première de la production du capital. Il conserve cette matière tant qu’il est utile pour lui de la conserver. Il l’entretient car elle est une matière et elle a besoin d’entretien (…). Il a des maternités où l’on accouche les femmes (…). Il a des écoles où les inspecteurs primaires viennent caresser les joues des enfants. Il a des stades (…). Il a des casernes. »

            Un peu après : « L’état capitaliste (…) pour produire le capital a, à certains moments, besoin de la guerre, comme un menuisier a besoin d’un rabot. Il se sert de la guerre ».

Curieuse coïncidence, le ministre des Finances vient de voler 10 milliards dans le budget voté de l’état, pour, dit-il, diminuer le déficit, en fait glisser à l’économie de guerre. Ces milliards qui vont manquer aux travailleurs, aux hôpitaux, aux écoles, etc, ont été comparés à un coup de rabot par les journalistes. Guerre à l’intérieur et à l’extérieur. Les victimes sont les mêmes. Les outils comparables.

Le livre est petit en volume mais quel ouvrage formidable. Question densité ça évoque les étoiles à neutrons.

Juste une remarque : la désobéissance individuelle fait des déserteurs, des objecteurs de consciences qui seront soit emprisonnés, soit fugitifs, soit fusillés pour l’exemple. La désobéissance individuelle n’a jamais arrêté une guerre. Une classe sociale organisée de la base au sommet, unie et résolue peut le faire. Elle doit se doter, pour cela, d’un parti des travailleurs.

YC