Le leurre

Éditorial de La Tribune des travailleurs n° 426 du 7 février 2024

Par Daniel Gluckstein

Quatre mois se sont écoulés depuis le 7 octobre. Gaza, rasée, compte plus de cent mille morts et blessés. Privés de nourriture et de soins, réfugiés dans des abris précaires au milieu des décombres, les rescapés survivent au jour le jour dans l’angoisse des prochains bombardements.

Car le massacre se poursuit. De temps à autre, les gouvernements capitalistes demandent à Netanyahou d’introduire un peu d’humanité dans son entreprise génocidaire… pour mieux poursuivre, sans relâche, leur fourniture d’armes à Israël.

C’est un fait : Israël ne pourrait prolonger son offensive meurtrière plus de deux ou trois jours si ces livraisons d’armes et de munitions cessaient. C’est pourquoi les véritables partisans de la paix se doivent d’exiger : l’arrêt des bombardements, la levée du siège et surtout l’arrêt des livraisons d’armes et de leur financement.

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Pour l’alliance ouvrière et paysanne

Par Daniel Gluckstein

C’est une terrible explosion de colère avoisinant la révolte qui pousse sur les routes des milliers de paysans qui multiplient les barrages pour faire prévaloir leurs revendications. Une immense colère teintée de désespoir, venue d’en bas, des couches les plus pauvres, les plus écrasées, celles qui n’arrivent plus à vivre de leur travail.

Le gouvernement ne s’y trompe pas. Il affiche – du moins jusqu’à aujourd’hui –, une volonté de dialogue, évitant la confrontation. En réalité, il multiplie les rencontres avec les seuls dirigeants de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et de Jeunes agriculteurs (JA), dans le but de sceller l’alliance entre le gouvernement et les « gros », les très gros propriétaires terriens, pour contenir le mouvement des « petits » qui n’en peuvent plus.

Ici s’exprime la différence entre la classe ouvrière et le monde de la paysannerie. La classe ouvrière rassemble tous les salariés, près de 27 millions, qui pour vivre sont contraints de vendre leur force de travail. Bien sûr, les cadres supérieurs ne vivent pas dans les mêmes conditions que les travailleurs précaires. Mais tous ont en commun de devoir vendre leur force de travail en échange d’un salaire : dans le privé, de la vendre à un patron qui tire son profit de l’exploitation de la force de travail ; et dans le public, de vendre leur force de travail de manière à faire fonctionner au moindre coût les services de l’État et des collectivités indispensables au système d’exploitation capitaliste. D’où les revendications communes à toute la classe ouvrière, par exemple face à la réforme des retraites.

Qu’est-ce qui est commun à toute la classe paysanne ? Formellement, tous les paysans « possèdent » leurs moyens de production et les utilisent eux-mêmes. Mais cette unité est une fiction. Au sommet, les gros exploitants agricoles sont de véritables capitalistes : il est emblématique que le président de la FNSEA, censé porter la parole de tous les paysans, soit propriétaire des huiles Lesieur et de dizaines de sites industriels dans le monde. Comme tous les capitalistes, il exploite ses salariés. Et quand il dit qu’il veut en finir avec les normes, il s’agit surtout des normes qui limitent son droit d’exploiter la force de travail d’autrui.

À l’inverse, les petits paysans sont certes formellement propriétaires de leurs moyens de production, mais le plus souvent tout est hypothéqué et c’est la banque qui est propriétaire. Et lorsqu’ils partent à la retraite, c’est avec une retraite de misère.

Reste cette question : comment est-il possible que dans la 7e puissance industrielle du monde, qui est par ailleurs une grande nation agricole, des producteurs de fruits, de légumes, de viande, de vin n’arrivent pas à vivre de leur travail ? Comment est-il possible que, « de l’autre côté », les salariés et leurs familles n’arrivent plus à acheter le strict nécessaire pour s’alimenter ?

Qui achète aux paysans les produits agricoles à un prix dérisoire ? Qui les revend à un prix exorbitant ?

En réalité, l’acteur principal de la crise actuelle, ce sont les multinationales agroalimentaires, la grande distribution, les grossistes intermédiaires qui, comme l’expriment les agriculteurs dans ce journal, se « gavent tous sur notre dos », car le gouvernement « fait les lois pour les grands groupes ».

Le savez-vous ? Parmi les quarante entreprises du CAC 40 qui viennent de verser plus de 100 milliards d’euros de dividendes, on trouve Carrefour, Danone, le Crédit agricole… Toutes distribuent des milliards à leurs actionnaires, des milliards volés aux petits paysans, dont la production est achetée à vil prix pour ensuite dégager des marges énormes sur le dos des consommateurs.

Cette politique pour les « gros » est organisée par le gouvernement Macron à la solde des capitalistes et protégée et encouragée par les directives de l’Union européenne.

Quelle issue à cette situation ? L’alliance ouvrière et paysanne, l’alliance entre les travailleurs, les salariés et les petits paysans. Une alliance qui devrait s’incarner dans une politique de défense commune des producteurs et des consommateurs : que les prix soient garantis à la production à un niveau qui permette aux paysans de vivre de leur travail, qu’une augmentation générale des salaires pour tous les travailleurs permette d’accroître le pouvoir d’achat, que soit instaurée l’échelle mobile des salaires les indexant sur les prix et qu’à cet effet les profits gigantesques des Crédit agricole, Danone, Carrefour et autres multinationales soient confisqués pour permettre à chacun de vivre de son travail et de se nourrir autant que de besoin.

Telle devrait être une politique de défense des travailleurs des villes et des campagnes, la politique d’un gouvernement de l’alliance ouvrière et paysanne.

Retour à la normale ?

Editorial de La Tribune des Travailleurs n° 424 du 24 janvier 2024

Par Daniel Gluckstein

Annonçant une hausse de près de 10 % des tarifs de l’électricité, le gouvernement précise qu’il s’agit d’un « retour à la normale ». Retour à la normale ? On en est déjà à 44 % d’augmentation en deux ans et le ministre Le Maire promet qu’il n’y en aura pas d’autre… avant l’an prochain !

Retour à la normale ? Des familles qui déjà ne peuvent plus payer le pourront encore moins, renonceront à se chauffer, à s’éclairer…

Retour à la normale ? Des boulangers s’apprêtent à mettre la clef sous la porte car, comme le dit l’un d’eux, « les gens ne vont quand même pas acheter la baguette à 2 ou 3 euros ! »

Et le doublement de la franchise médicale sur les boîtes de médicaments et les actes médicaux, retour à la normale aussi ?

Tout cela pour quoi, au fait ?

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Ni par la dérobade ni par la division

Par Daniel Gluckstein

En ce début d’année, la situation apparaît difficile, voire angoissante, pour les travailleurs et les jeunes. Elle l’est au plan international avec la poursuite du massacre à Gaza et la marche à une possible généralisation des guerres. Elle l’est en France avec la politique violemment antisociale et anti-jeunes de ce gouvernement.

Résister dans ces conditions suppose que nous soyons unis. Cela suppose aussi que ceux qui prétendent parler au nom des travailleurs et de la population prennent leurs responsabilités.

La loi Immigration est dénoncée de toutes parts, et à juste titre, comme l’introduction dans la loi, pour la première fois, de « la préférence nationale » chère à l’extrême droite. C’est une loi raciste de division entre les travailleurs de nationalité française et les autres.

Combattre cette loi de division est indispensable. Mais ce combat peut-il aboutir… en se divisant ?

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Et si Macron ne le permet pas ?

Par Daniel Gluckstein

Quittant Matignon, l’ex-Première ministre a recommandé à son successeur de « poursuivre les réformes ». Borne n’a pas lieu de s’inquiéter : elle et Attal, membres du même gouvernement, ont porté ensemble les contre-réformes de Macron. Attal continuera, en zélé serviteur des intérêts capitalistes.

Aucune confiance en revanche ne peut être accordée à ce gouvernement par les travailleurs et les jeunes. C’est une évidence.

La température étant descendue à Paris au-dessous de zéro, Ian Brossat, sénateur PCF, lance dans L’Humanité un appel « à la réquisition » des logements vides. Des milliers de sans-abri parisiens sont concernés, dont des centaines d’enfants scolarisés. Brossat étant l’adjoint chargé du logement auprès de Madame Hidalgo, maire de la capitale, on se dit qu’une telle réquisition devrait pouvoir s’imposer sans difficulté.

Erreur.

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Dans les limites d’une opposition verbale…

Éditorial de La Tribune des Travailleurs n° 421 du 29 décembre 2023

Par Daniel Gluckstein

C’était en avril dernier. Méprisant les millions de grévistes et de manifestants mobilisés depuis de longs mois contre sa réforme des retraites, Macron venait de la faire « adopter » par un 49-3 à l’Assemblée nationale. Alors que les travailleurs et les jeunes continuaient à défiler au cri de « Macron, démission ! », les dirigeants des partis de la Nupes, eux, se tournèrent vers le président pour le supplier solennellement de ne pas promulguer sa loi. Ce qu’il fit pourtant dès que le Conseil constitutionnel lui en eut donné le feu vert.

On a revécu la même scène la semaine dernière. Allié à l’extrême droite et à la droite, Macron fait passer sa loi raciste, utilisant pour cela les artifices les plus antidémocratiques de la Ve République. Que font les dirigeants de l’ex-Nupes ? Ils écrivent à Macron : « S’il vous plaît, ne promulguez pas. »

Entre ces deux événements, il y a eu, en septembre, ce dîner auquel participèrent les dirigeants de tous les partis de « gauche », de droite et d’extrême droite, douze heures durant, autour de Macron. Et d’autres épisodes encore…

Comme la moule à son rocher, la « gauche » semble ne pouvoir se décrocher de Macron. Lequel s’en félicite bruyamment. Certes, les partis de « gauche » expriment souvent leur désaccord avec la politique présidentielle. Mais ils sont vigilants à rester dans les limites d’une opposition verbale sans conséquence pratique. Pour eux, Macron doit pouvoir continuer son œuvre, au nom du sacro-saint respect dû au président de la Ve République. Ce sont les mêmes d’ailleurs, et pour les mêmes raisons, qui en appellent au sacro-saint respect de l’ONU et de ses résolutions, y compris celle de 1947 qui a imposé la partition de la Palestine, partition à la source du massacre en cours.

N’en déplaise à ces dirigeants, la fonction de président de la République n’a rien de sacré. Elle consiste à assurer la domination capitaliste (c’est le cas aussi pour l’ONU à l’échelle internationale). La Ve République n’est elle-même que l’instrument de la domination de la classe capitaliste, du droit absolu qu’elle s’arroge d’exploiter les travailleurs, de piller les ressources de la nation pour la guerre et pour les spéculateurs, et de déchaîner son appareil répressif quand elle le juge utile. C’est parce qu’ils refusent de rompre avec ces institutions – et les rapports de classe qu’elles protègent – que les dirigeants des partis de « gauche » se placent eux-mêmes dans ce rapport de sujétion à Macron, au mépris de ce qu’attendent d’eux nombre de travailleurs et leurs propres militants. Qu’on ne vienne pas, après cela, se plaindre de l’abstention…

Un parti ne craint pas d’appeler les travailleurs à ouvrir la voie de la rupture par leur propre mobilisation. Un parti appelle à rejeter aussi bien le prétendu droit international de l’ONU, contraire au droit des peuples, que les institutions de la Ve République, contraires à la démocratie. Un parti appelle à rassembler les forces dans la lutte de classe pour briser la politique anti-ouvrière, antisociale, antidémocratique du gouvernement Macron. Son nom ? Parti des travailleurs.

L’heure est grave

Éditorial de La Tribune des Travailleurs n° 420 du 20 décembre 2023

Par Daniel Gluckstein

En se mettant d’accord ce 19 décembre sur la loi « Immigration », la nouvelle alliance des macronistes, de la droite et des lepénistes fait coup double. D’une part, elle impose des mesures d’une brutalité sans précédent contre la composante immigrée de la classe ouvrière. D’autre part, par une campagne politique et médiatique dramatisant le moindre incident et l’amalgamant à la situation au Moyen-Orient, elle est parvenue à polariser toute la vie politique sur cette question. Tout, désormais, est prétexte à évoquer le seuil prétendument intolérable atteint par l’immigration et la nécessité de prendre des mesures radicales.

Bien sûr, les Le Pen, Bardella et autres Zemmour et Maréchal se frottent les mains.

Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que la droite cède devant l’extrême droite, tandis que le centre cède à la droite et que la gauche, tétanisée, se déchire.

La mise en scène est pourtant grossière. Pour la grande majorité des travailleurs, des jeunes et des familles ouvrières de ce pays, les préoccupations majeures s’appellent : pouvoir d’achat, vie chère, dégradation de l’école, des services publics et des hôpitaux. Tous les travailleurs sont concernés. Tous aussi sont disponibles pour combattre pour les revendications, comme ils l’ont montré dans la mobilisation par millions pour défendre les retraites au début de cette année.

C’est pour empêcher qu’un tel mouvement ne ressurgisse dans les prochains mois que gouvernement et appareils politiques ont ressorti le vieil arsenal de la division raciste. Le discours s’enfle à n’en plus finir : « Français, si vous êtes malheureux, c’est à cause de l’“autre”, de l’immigré, celui qui prend vos emplois et vos allocations, celui qui occupe les logements qui vous sont destinés. »

En réalité, supprimer pour une catégorie de travailleurs des droits communs à tous, c’est se préparer à en priver demain tous les travailleurs.

L’heure est grave. Des partis fidèles à la tradition de la gauche dans ce pays devraient d’une seule voix lancer un appel : « Travailleurs, ne nous laissons pas diviser, l’ennemi n’est pas notre voisin, notre collègue de travail, qui partagent les mêmes conditions d’existence. L’ennemi, c’est le gouvernement, c’est le patronat. »

Des partis de gauche occupés à autre chose que leurs petits règlements de comptes devraient d’une seule voix lancer un appel : « Contre la vie chère, pour les salaires, refusons la division, formons le bloc uni pour combattre pour les revendications et faire reculer gouvernement et patronat. »

À l’alliance raciste et anti-ouvrière de l’extrême droite, de la droite et du gouvernement, la seule réponse est celle de l’unité ouvrière, qui rassemble tous les travailleurs, titre de séjour ou pas, quelles que soient la nationalité et la couleur de la peau.

L’heure est grave. Toi qui nous lis et qui, comme nous, penses que les travailleurs doivent s’unir pour les revendications, contre les lois racistes et pour un gouvernement de la classe laborieuse, pour permettre à tous de vivre dignement, rejoins-nous. Le Parti des travailleurs est le tien.